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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/275

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année 1772.

qui suivent effacent les précédents ; au lieu que les grands auteurs sont non-seulement les bienfaiteurs de leurs contemporains, mais de tous les siècles.

Le nom d’Aristote retentit plus dans les écoles que celui d’Alexandre. On lit et relit plus souvent Cicéron que les Commentaires de César. Les bons auteurs du dernier siècle ont rendu le règne de Louis XIV plus fameux que les victoires du conquérant. Les noms de Fra-Paolo, du cardinal Bembo, du Tasse, de l’Arioste, l’emportent sur ceux de Charles-Quint et de Léon X, tout vice-dieu que ce dernier prétendit être. On parle cent fois de Virgile, d’Horace, d’Ovide, pour une fois d’Auguste, et encore est-ce rarement à son honneur. S’agit-il de l’Angleterre, on est bien plus curieux des anecdotes qui regardent les Newton, les Locke, les Shaftesbury, les Milton, les Bolingbroke, que de la cour molle et voluptueuse de Charles II, de la lâche superstition de Jacques II, et de toutes les misérables intrigues qui agitèrent le règne de la reine Anne. De sorte que vous autres précepteurs du genre humain, si vous aspirez à la gloire, votre attente est remplie, au lieu que souvent nos espérances sont trompées, parce que nous ne travaillons que pour nos contemporains ; et vous pour tous les siècles.

On ne vit plus avec nous quand un peu de terre a couvert nos cendres ; et l’on converse avec tous les beaux esprits de l’antiquité, qui nous parlent par leurs livres.

Nonobstant tout ce que je viens de vous exposer, je n’en travaillerai pas moins pour la gloire, dussé-je crever à la peine, parce qu’on est incorrigible à soixante-un ans, et parce qu’il est prouvé que celui qui ne désire pas l’estime de ses contemporains en est indigne. Voilà l’aveu sincère de ce que je suis, et de ce que la nature a voulu que je fusse.

Si le patriarche de Ferney, qui pense comme moi, juge mon cas un péché mortel, je lui demande l’absolution. J’attendrai humblement sa sentence ; et si même il me condamne, je ne l’en aimerai pas moins.

Puisse-t-il vivre la millième partie de ce que durera sa réputation ! il passera l’âge des patriarches. C’est ce que lui souhaite le philosophe de Sans-Souci. Vale.

Fédéric.

Je fais copier mes lettres, parce que ma main commence à devenir tremblante, et qu’en écrivant d’un très-petit caractère cela pourrait fatiguer vos yeux.

8725. — À M. LE MARQUIS DE CONDORCET.
4 janvier.

Je suppose, monsieur, qu’une lettre de la rue Saint-Roch et du bureau de la Gazette est de vous, du moins je le présume par le style : car il y a bien des écritures qui se ressemblent, et personne ne signe. Vous devriez mettre un C, ou tel autre signe qu’il vous plaira, pour éviter les méprises.