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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/295

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année 1772.

d’autres. J’ai enfin ce courage. Les cris ridicules de mes ridicules ennemis, mais plus encore la voix de la vérité, qui ordonne qu’on dise sa pensée, m’ont enhardi. On fait actuellement une très-belle édition in-4o de Corneille et de mon commentaire. Elle est aussi correcte que celle de mes faibles ouvrages est fautive. J’y dis la vérité aussi hardiment que vous.


Qui n’a plus qu’un moment à vivre
N’a plus rien à dissimuler[1].


Savez-vous que la nièce de notre père du théâtre se fâche quand on lui dit du mal de Corneille ? mais elle ne peut le lire : elle ne lit que Racine. Les sentiments de femme l’emportent chez elle sur les devoirs de nièce. Cela n’empêche pas que, nous autres hommes qui faisons des tragédies, nous ne devions le plus profond respect à notre père. Je me souviens que quand je donnai, je ne sais comment, Œdipe, étant fort jeune et fort étourdi, quelques femmes me disaient que ma pièce (qui ne vaut pas grand’chose) surpassait celle de Corneille (qui ne vaut rien du tout) ; je répondis par ces deux vers admirables de Pompée :


Restes d’un demi-dieu dont jamais je ne puis
Égaler le grand nom, tout vainqueur que j’en suis.

(Acte V, scène i.)

Admirons, aimons le beau, mon cher ami, partout où il est ; détestons les vers visigoths dont on nous assomme depuis si longtemps, et moquons-nous du reste. Les petites cabales ne doivent point nous effrayer ; il y en a toujours à la cour, dans les cafés, et chez les capucins. Racine mourut de chagrin parce que les jésuites avaient dit au roi qu’il était janséniste. On a pu dire au roi, sans que j’en sois mort, que j’étais athée, parce que j’ai fait dire à Henri IV :


Je ne décide point entre Genève et Rome.

(La Henriade, ch. II, v. 5.)

Je décide avec vous qu’il faut admirer et chérir les pièces parfaites de Jean, et les morceaux épars, inimitables de Pierre. Moi qui ne suis ni Pierre ni Jean, j’aurais voulu vous envoyer

  1. Quinault, Atys, acte I, scène vi.