Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
584
CORRESPONDANCE.

biter la campagne depuis que je vois que vous avez de pareilles ressources dans votre voisinage. Les gens instruits et aimables sont rares, même dans les capitales. J’ai appris de bonnes nouvelles de votre santé. La force de votre esprit soutient votre corps. Je désire bien vivement que vous deveniez un prodige de longue vie, comme vous l’êtes de talents et d’agréments.

8744. — À M. DE LA HARPE.
À Ferney, 22 janvier.

Mon cher ami, mon cher successeur, votre éloge de Racine est presque aussi beau que celui de Fénelon, et vos notes sont au-dessus de l’un et de l’autre. Votre très-éloquent discours sur l’auteur du Télémaque vous a fait quelques ennemis. Vos notes sur Racine sont si judicieuses, si pleines de goût, de finesse, de force, et de chaleur, qu’elles pourront bien vous attirer encore des reproches ; mais vos critiques (s’il y en a qui osent paraître) seront forcés de vous estimer, et, je le dis hardiment, de vous respecter.

Je suis fâché de ne vous avoir pas instruit plus tôt de ce que j’ai entendu dire souvent, il y a plus de quarante ans, à feu M. le maréchal de Noailles, que Corneille tomberait de jour en jour, et que Racine s’élèverait. Sa prédiction a été accomplie, à mesure que le goût s’est formé : c’est que Racine est toujours dans la nature, et que Corneille n’y est presque jamais.

Quand j’entrepris le Commentaire sur Corneille, ce ne fut que pour augmenter la dot que je donnais à sa petite-nièce, que vous avez vue ; et en effet Mlle Corneille et les libraires partagèrent cent mille francs que cette première édition valut. Mon partage fut le redoublement de la haine et de la calomnie de ceux que mes faibles succès rendaient mes éternels ennemis. Ils dirent que l’admirateur des scènes sublimes qui sont dans Cinna, dans Polyeucte, dans le Cid, dans Pompée, dans le cinquième acte de Rodogune, n’avait fait ce commentaire que pour décrier ce grand homme. Ce que je faisais par respect pour sa mémoire, et beaucoup plus par amitié pour sa nièce, fut traité de basse jalousie et de vil intérêt par ceux qui ne connaissent que ce sentiment ; et le nombre n’en est pas petit.

J’envoyais presque toutes mes notes à l’Académie ; elles furent discutées et approuvées. Il est vrai que j’étais effrayé de l’énorme quantité de fautes que je trouvais dans le texte ; je n’eus pas le courage d’en relever la moitié ; et M. Duclos me manda que, s’il était chargé de faire le commentaire, il en remarquerait bien