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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/312

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CORRESPONDANCE.

tame de ne se croire digne d’épouser Astérie que parce qu’il obtient une dignité dont il ne faisait nul cas. Ce compliment dément son caractère. Certainement il était bien plus convenable à ce fier sauvage, qui se croit égal aux rois, de dire qu’il pense être digne d’Astérie, parce qu’il l’a toujours aimée ; c’est le sentiment d’une âme hardie et fière le contraire est un compliment très-ordinaire, et par conséquent d’une extrême froideur.

Les quatre derniers vers de Datame sont de la même faiblesse. Il dit, et il retourne en quatre vers sans force, qu’il sera un sujet fidèle.

J’ai vu plusieurs endroits dans la pièce sur lesquels je vous ferais de pareilles remarques. On souffre des vers de liaison dans une tragédie ; mais les gens de goût ne peuvent souffrir des vers lâches, des hémistiches rebattus, des épithètes oiseuses, des lieux communs qui traînent les rues. Vous devez concevoir à quel point je dois être affligé qu’on ait ainsi gâté mon ouvrage, sans daigner m’en dire un mot. Mes plus cruels ennemis ne m’auraient pas rendu un si mauvais service.

Cependant, encore une fois, je vous pardonne, en me flattant que vous réparerez cet affront, qui est très-aisé à pardonner et à réparer.

Une vingtaine de vers ne me feront jamais oublier l’amitié que vous m’avez témoignée : j’oublie même le peu de confiance que vous avez eu en moi dans ce qui m’intéressait personnellement.

Vous m’avez fait accroire que vous vous serviez d’un jeune homme pour faire passer cette pièce sous son nom, et il s’est trouvé que ce jeune homme est un mauvais comédien de la troupe de Paris. Mais, encore une fois, j’oublie tout, parce que je vous aime. Je vous demande seulement en grâce de ne pas permettre qu’on joue cette pièce dans l’état malheureux où elle est.

J’y retravaillais dans le temps où la friponnerie du libraire Valade m’a joué un fort mauvais tour. Réparons tout cela, vous dis-je ; ne traitez plus un vieillard en enfant, et un homme qui a quelque connaissance de son art en imbécile. Au reste, il ne tiendrait qu’à vous et à M. d’Argental de savoir tout le détail de la scélératesse que j’éprouve.

Je suis persuadé que si vous aimez le théâtre, vous m’aimez tous deux aussi, et que vous me conserverez des bontés qui m’ont toujours été chères. V.