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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/320

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CORRESPONDANCE.

résisté au plaisir que j’aurais eu à vous écrire. Combien de lettres recevez-vous dont la vanité est l’objet ! Montrer une réponse de Voltaire, c’est un trophée qui doit faire penser que l’auteur de la lettre et celui de la réponse sont identifiés ensemble. Ce n’est pas ma façon de penser, je vous en fais l’aveu. On ne doit écrire à un homme de lettres que lorsqu’on a des observations utiles, curieuses, des doutes, des lumières à lui communiquer. Des lumières… comment vous en donner ? Des observations… quand tout est clair, précis, il ne reste plus rien à faire. Des doutes… je doute avec vous. Quand je lis vos ouvrages philosophiques, vous prouvez, vous subjuguez, vous entraînez. Voilà l’apologie du silence que j’ai tenu, et pour lequel, s’il pouvait servir d’exemple, vous m’auriez quelque obligation. Je jouis cependant de l’agrément de manquer aujourd’hui à la loi que je me suis imposée.

Le chevalier de Mainissier[1], qui va à Ferney pour vous voir et vous consulter sur ses propres ouvrages, qui m’est recommandé de Queslie, où il a passé trois années, me paraît digne de votre attention.

Ayez égard au souvenir que je conserve de César et de l’ami de Lusignan ; j’étais trop jeune, à la vérité, pour avoir pu profiter de votre société autant que je l’aurais dû ; conservant cependant l’impression que vos lumières et votre esprit m’ont donnée, et celle de l’estime et de la considération avec laquelle je suis, monsieur, votre très-affectionné ami.

Henri.
8772. — À M. LEKAIN.
À Ferney, 15 février.

Mon cher ami, voilà mon rêve fini. J’avais imaginé que vos belles décorations, mais surtout vos talents inimitables, procureraient quelque succès aux Lois de Minos ; je voulais même que le profit des représentations et de l’impression allât à l’Hôtel-Dieu, et je vous destinais un émolument qui eût été bien plus considérable : tout a été dérangé par cette détestable édition de Valade, dans laquelle on a inséré des vers dignes de l’abbé Pellegrin. Il ne faut plus penser à tout cela je retire absolument la pièce ; je vous prie très-instamment de le dire à vos camarades. J’attendrai un temps plus favorable. D’ailleurs le rôle de Datame était trop petit pour vous. Mon grand malheur est que ma faiblesse et mes maladies me mettent hors d’état de joindre mes faibles talents aux vôtres ; ma consolation est d’espérer de vous revoir quand vous irez à Marseille. Portez-vous bien ; faites longtemps les délices de Paris ; tâchez de former des élèves qui ne vous égaleront jamais. Je vous embrasse de tout mon cœur.

  1. Voltaire, dans sa réponse au prince Henri (lettre 8799), parle de Mainissier et de sa Politique morale, ouvrage qui m’est tout à fait inconnu. (B.)