Ne vous attendez pas à recevoir de ma part des ouvrages de cette nature : nous aimons mieux dans ce pays n’avoir que des sujets comiques ; les autres, nous les avons eus par le passé, et nous aimons mieux voir représenter des tragédies que d’en être les acteurs.
Quelque âge que vous ayez, vous avez un doyen dans ce pays-ci : c’est le vieux Pöllnitz. Il a fait une grande maladie, et je vous envoie l’histoire de sa convalescence[1]. Il a actuellement quatre-vingt-cinq ans passés. Ce n’est pas une bagatelle d’avoir poussé sa carrière jusqu’à un âge aussi avancé, et de repousser les attaques de la mort comme un jeune homme.
L’autre pièce, qui commence par un badinage, finit par quelques réflexions morales[2]. J’ai fort recommandé qu’on eut soin d’en affranchir le port, parce qu’il n’est pas juste que vous payiez un fatras de fadaises qui vous ennuiera peut-être.
Vous me parlez de vos Welches et de leurs intrigues ; elles me sont toutes connues. Il ne m’échappe rien de ce qui se passe à Stockholm ainsi qu’à Constantinople. Mais il faut attendre jusqu’au bout pour voir qui rira le dernier.
Votre impératrice a bien des ressources. Le Nord demeurera tranquille, ou ceux qui voudront le troubler, tout froid qu’il est, s’y brûleront les doigts.
Voilà ce que je prends la liberté de vous annoncer, et que vos Welches, pour trouver des souverains trop crédules, pourront peut-être les précipiter eux-mêmes dans de plus grands malheurs que ceux qu’ils ont courus jusqu’à présent.
Mais je ne sais de quoi je m’avise : les pronostics ne vont point à l’air de mon visage, et ce n’est pas à un incrédule à faire le voyant, aussi peu qu’à un échappé des Teutons à faire des vers welches. Je me sauverai de ceci comme Pilate, qui dit : Quod scripsi, scripsi[3].
On peut mal prévoir, on peut faire de mauvais vers ; mais cela n’empêche pas qu’on ne soit sensible au destin des grands hommes, et que le philosophe de Sans-Souci ne prenne un vif intérêt à la conservation du patriarche de Ferney, pour lequel il conservera toute sa vie la plus grande admiration.
Il s’en faut bien, mon cher ange, que je sois guéri. Les apparences sont que j’irai bientôt trouver votre ami M. de Croismare[4], qui était mon cadet.
- ↑ C’était une Épître (en vers) au baron de Pöllnitz sur sa convalescence. Elle est dans les Œuvres posthumes de Frédéric II.
- ↑ Probablement l’épître dont Voltaire parle dans la lettre 8820.
- ↑ Jean, XIX, 22.
- ↑ Jacques-René de Croismare, grand-croix de l’ordre de Saint-Louis, lieute-