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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/362

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CORRESPONDANCE.

beaucoup : mon âme, s’il y en a une, ce qui est fort douteux, vous est tendrement attachée jusqu’à la dissolution entière de mon individu, laquelle est fort prochaine.

8817. À CATHERINE II,
impératrice de russie.
20 avril.

Madame, c’est à présent plus que jamais que Votre Majesté impériale est mon héroïne, et fort au-dessus de la majesté. Comment ! au milieu de vos négociations avec Moustapha, au milieu de vos nouveaux préparatifs pour le bien battre, quand la moitié de votre génie doit être vers la Pologne, et l’autre vers Bucharest, il vous reste encore un autre génie qui en sait plus que les membres de votre Académie des sciences, et qui daigne donner à mon ingénieur les leçons qu’il attendait d’eux ! Combien avez-vous donc de génies ? ayez la bonté de me faire cette confidence. Je ne vous demande pas de me dire si vous irez assiéger Andrinople, fort aisé à prendre, tandis que les troupes autrichiennes s’empareront de la Servie et de la Bosnie. Ces secrets-là ne sont pas plus de ma compétence que le renvoi de nos chevaliers errants. Je me borne à rire quand je lis dans une de vos lettres que vous voulez les garder quelque temps dans vos États pour qu’ils enseignent les belles manières dans vos provinces.

Le portail voûté, élevé sur la glace, et subsistant sur elle depuis quatre ans, me paraît un des miracles de votre règne ; mais c’est aussi un miracle de votre climat. Je doute fort qu’on pût, dans nos cantons, élever un monument pareil ; pour la bombe remplie d’eau, je pense qu’elle crèverait par une forte gelée, tout comme à Pétersbourg.

On dit que le thermomètre d’esprit-de-vin a été de cinquante degrés au-dessous de la congélation, cette année, dans votre résidence : nous péririons, nous autres Suisses, si jamais le thermomètre descendait chez nous à vingt : notre plus grand froid est à quinze et seize, et cette année il n’a pas atteint jusqu’à dix.

Je me flatte bien que vos bombes crèveront désormais sur les têtes des Turcs, et que M. le prince Orlof bâtira des arcs de triomphe, non pas sur la glace, mais dans l’Atmeidan de Stamboul ; et c’est alors que vous ferez naître en Grèce des Phidias comme des Miltiades.