Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/382

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
672
CORRESPONDANCE.

Que mes anges me conservent un peu d’amitié, je serai consolé dans mes neiges et dans mes tribulations ; je leur serai attaché tant que mon cœur battra dans ma très-faible machine.

8838. — À M. D’ALEMBERT.
8 mai.

Mon très-cher et très-intrépide philosophe, Dieu veuille que cette fois-ci ma petite offrande arrive à votre autel ! Il y a trois volumes[1] de rapsodies, l’un pour vous, l’autre pour M. le marquis de Condorcet, et un troisième dans lequel M. de La Harpe est intéressé à la page 10[2].

Ce qu’il y a de meilleur assurément dans ce recueil, que le gros Cramer s’est avisé de faire pendant ma maladie, est un certain dialogue entre l’illustre fou de la matière subtile, et la cruelle folle qui assassina Monaldeschi[3].

Que vous dirai-je sur une personne plus illustre[4], et qui n’est point folle ? Elle garde sans doute ses reclus dans un pays qui fut grec autrefois, pour en faire un beau présent aux Welches, quand elle se sera raccommodée avec eux. Elle a pensé, sans doute, que vous aviez pénétré ce dessein ; et je la crois très-embarrassée à vous faire réponse, d’autant plus que vous êtes à Paris, et que toutes les lettres sont ouvertes.

Vous êtes trop juste pour être mécontent des conseils honnêtes que je donne vers la page 8[5]. Vous êtes trop éclairé pour ne pas voir dans quel esprit on fit les Lois de Minos, qui n’ont pas, en vérité, coûté plus de huit jours pour le travail, dans le temps qu’on proscrivait les Druides[6]. Le détestable Valade, par sa friponnerie, et un autre homme par ses vers encore plus détestables, ont empêché la promulgation de ces Lois sur le théâtre. On est exposé à mille contre-temps quand on est loin de Paris. Je n’avais pas besoin de ces nouvelles anicroches pour être fâché de mourir sans vous embrasser. La vie est pleine de misères, on le sait bien ; mais peu de gens savent qu’une des plus grandes est de mourir loin de ses amis. Je ne reçois aucune des visites qu’on

  1. C’est-à-dire trois exemplaires du volume dont il est parlé dans la lettre 8792, contenant les Lois de Minos et d’autres écrits.
  2. La phrase qui concerne La Harpe est répétée dans la lettre 8855.
  3. Le Dialogue entre Descartes et Christine, qui est de d’Alembert.
  4. Catherine II.
  5. Voyez tome VII, page 170, l’alinéa commençant par C’est à vous, etc.
  6. Tragédie de Leblanc de Guillet.