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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/408

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CORRESPONDANCE.

8866. — À M. MARIN[1]
À Ferney, 12 juin.

J’ai le capitaine Lawrence ; ce n’est pas là ce qu’il me faut. Personne ne lit les détails des combats et des sièges ; rien n’est plus ennuyeux que la droite et la gauche, les bastions et la contrescarpe. J’ai de meilleurs mémoires que toutes ces minuties des horreurs de la guerre. Il faut amorcer le lecteur par des choses intéressantes, sans quoi on ne tient rien.

J’ai un Holwel, un Scrafton[2]. Il s’agit de faire un ouvrage attachant, une histoire qui ait l’air simple et qui touche le cœur ; point de partialité, mais beaucoup de vérité. On est perdu pour peu que l’ouvrage ait la moindre ressemblance avec un factum d’avocat. Une pareille histoire d’ailleurs doit être courte, quoique pleine ; elle doit avoir, comme une tragédie, exposition, nœud et dénoûment, avec épisode agréable.

Je finirai par vous dire, mon cher correspondant : Si vous voulez voir un beau tour, faites-le ; mais si vous ne le faites pas, je le ferai.

Je trouve le jugement de M. de Morangiés absurde ; mais que diable allait-il faire dans cette galère ? Quelque parti qu’on prit, il semble qu’il n’y a que Dieu seul qui put juger ce procès.

8867. — À M. D’ALEMBERT.
16 juin.

Mais pourtant, mon cher philosophe, vous m’avouerez que je dois être un peu embarrassé, et que vous ne devez point l’être du tout. Vous conviendrez que je suis dans une position gênante. Je cultive mon jardin ; mais le fils de mon maître maçon, devenu évêque, a voulu m’en chasser. Jean-Jacques, décrété de prise de corps, est tranquille à Paris, en qualité de charlatan étranger ; et moi, je suis dans le pays où il devrait être. Quatre ou cinq abbés m’ont maudit dans leurs livres, pour avoir des bénéfices ; et ces malédictions, portées aux oreilles de l’arrière-petit-fils de Henri IV, ont été un peu funestes au chantre de Henri IV. Mes pensions, qu’on ne me paye point, et dont je ne me soucie guère, en sont une preuve. J’abrège la kyrielle, pour ne vous pas ennuyer.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François,
  2. Auteurs, comme W. Lawrence, d’écrits historiques sur l’Inde. (A. F.)