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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/419

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année 1772.

Chaque corps turc nous a laissé son camp, son artillerie, ses bagages. Voilà donc votre cher Moustapha en train d’être joliment tapé de nouveau, après avoir négocié et rompu deux congrès consécutifs, et avoir divers armistices qui ont duré près d’un an. Cet honnête homme-là, selon moi, ne sait point profiter des circonstances. Il n’est pas douteux que vous serez témoin oculaire de la fin de cette guerre. J’espère que le passage du Danube y contribuera de deux façons : il vous donnera de la joie et rendra le sultan plus traitable, après quoi nous laisserons faire et dire les Welches tout ce que bon leur semblera. Leurs nouvelles souvent méritent peu d’attention : ils ont débité que j’avais demandé trente mille Tartares au kan pour m’en servir contre les Suédois, et que celui-ci me les avait refusés. Je n’ai jamais pensé à pareille absurdité, et je doute fort que M. de Saint-Priest l’ait mandé, comme on l’assure, parce que communément les ambassadeurs sont censés avoir au moins le sens commun.

Je dois ajouter au récit que je vous ai fait du portail voûté élevé sur la glace, qu’on l’a abattu ce printemps, et qu’on a trouvé la glace fondue ; par conséquent, cette manière de bâtir n’est pas solide, quoique cette porte ait existé plus de trois ans, et ne paraissait point être endommagée.

Le froid qu’on a senti ici cet hiver n’a point été, à beaucoup près, aussi fort que celui de la Sibérie, qui est monté à un degré fabuleux, surtout à Yakoutsk. Je serais tentée de n’y ajouter pas plus de foi qu’au récit de M. Algarotti sur la Grèce. Vous m’avez tirée d’erreur en quatre mots : me voilà convaincue que ce n’est pas en Grèce que les arts ont été inventés, et j’en suis fâchée, car j’aime les Grecs malgré tous leurs défauts.

Soyez assuré de tous les sentiments que vous me connaissez ; portez-vous bien et réjouissons-nous ensemble du passage du Danube, qui ne sera pas plus immortel que celui du Rhin par Louis XIV ; cependant il faut convenir que c’est une chose rare que ce passage, le Danube n’ayant été franchi par les Russes de huit cents ans.

8876. — À M. LE DUC DE CHOISEUL.
Juin.

S’il y a dans cet ouvrage[1] un petit nombre de vers heureux qui vous plaisent, ce dont je doute beaucoup, je vous dirai comme Horace à Mécène :


Principibus placuisse viris non ultima laus est[2].


Ce n’est pas un petit avantage de plaire aux premiers hommes de sa nation.

Cela est beaucoup plus vrai qu’on ne pense. La raison est que les hommes élevés au-dessus des autres sont distraits par

  1. Les Lois de Minos ; voyez la dernière phrase de cette lettre.
  2. Livre I, épître XVII, vers 33.