Le vieux malade est toujours dans son lit : il fait mille compliments à M. Bertrand. Il lui enverra cette détestable édition sitôt qu’elle sera finie.
Eh bien, madame, je commence par les diamants brillants. Page 102, tome Ier : « Pourquoi faire de Dieu un tyran oriental ? pourquoi lui faire punir des fautes légères par des châtiments éternels ? Pourquoi mettre le nom de la Divinité en bas du portrait du diable ? »
Page 107 : « Nous sommes étonnés de l’absurdité de la religion païenne ; celle de la religion papiste étonnera bien davantage la postérité. »
Page 121 : « Pour être philosophe, dit Malebranche, il faut voir évidemment ; et, pour être fidèle, il faut croire aveuglément. Malebranche ne s’aperçoit pas que de son fidèle il en fait un sot. »
Page 321 : « Pourquoi tout moine, qui défend avec un emportement ridicule les faux miracles de son fondateur, se moque-t-il de l’existence des vampires ? c’est qu’il n’a point d’intérêt à le croire. Ôtez l’intérêt, reste la raison, et la raison n’est pas crédule. »
Je prends ces petits diamants au hasard, madame ; il y en a mille dans ce goût, dont l’éclat m’a frappé. Cela n’empêche pas que le livre ne soit très-mauvais. Je passe ma vie à chercher des pierres précieuses dans du fumier ; et, quand j’en rencontre, je les mets à part, et j’en fais mon profit : c’est par là que les mauvais livres sont quelquefois très-utiles.
J’ai lu, il n’y a pas longtemps, l’Art d’aimer, de Bernard[2]. C’est un des plus ennuyeux poëmes qu’on ait jamais faits ; cependant il y a, dans ce long poëme, une trentaine de vers admirables et dignes d’être éternels, comme le sujet du poëme le sera.
- ↑ Éditeurs, de Cayrol et François.
- ↑ Voyez la fin de la lettre 8918.