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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/504

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gne : remplissez votre agréable carrière dans le temps que je finis la mienne ; jouissez de la vie, moi je la tolère. Je m’anéantis, mais ce n’est pas tout doucement ; c’est avec des souffrances continuelles il faut même qu’elles soient bien fortes, puisque je vous écris une si courte lettre.

Mme Denis est très-sensible à votre souvenir. Nous n’avons plus, elle et moi, que des souvenirs.

8969. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
6 novembre.

Je remercie bien tendrement mon cher ange d’avoir songé à m’écrire au milieu des fêtes et du fracas de la cour. Ce qu’il y a de mieux, à mon avis, dans Sophonisbe, c’est qu’elle est la plus courte de toutes les tragédies ; et que, si elle a ennuyé de belles dames auxquelles il faut des opéras-comiques, elle ne les a pas ennuyées longtemps.

Les Lois de Minos auraient du moins produit un plus beau spectacle pour les yeux ; mais ces Lois de Minos sont malheureuses. Je ne veux pas croire que, parmi les grandes intrigues qui agitent quelquefois votre cour, il y en ait eu une contre Astérie. Je n’ai jamais rien entendu à tout ce qui s’est passé dans cette affaire, et j’ai fini par me résigner à la Providence, qui dispose de la scène française.

J’ai écrit un petit mot au maître des jeux sur la mort de sa fille[1], mais je ne lui ai rien dit cette fois-ci sur la mort des miennes. J’ai eu tant d’enfants qu’il faut bien que j’en perde quelques-uns.

J’ai entendu à Ferney la tragédie du Connétable de Bourbon, M. de Guibert ne récite pas trop bien, mais qui étincelle de beaux vers : il a bien de l’esprit, ce M. Guibert ! S’il commande jamais une armée, il sera le premier général qui ait fait une tragédie. Il est déjà le premier en France qui soit l’auteur d’une Tactique et d’une pièce de théâtre ; je dis en France, car Machiavel en avait fait avant lui tout autant en Italie ; et, par-dessus tout cela, il avait fait une conspiration.

Puisque mon cher ange se réjouit à Fontainebleau, j’en conclus que les affaires du Parmesan vont très-bien, et que toutes

  1. Jeanne-Sophie-Élisabeth Louise-Armande-Septimanie Du Plessis de Richelieu, épouse de Casimir, comte d’Egmont-Pignatelli, morte le 14 octobre au château de Braine en Picardie, dans la trente-troisième année de son âge.