Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/505

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les affaires sont heureusement arrangées. Je lui en fais mon compliment, et je l’exhorte à jouir gaiement de la vie, pendant que je la supporte assez tristement : car, à la fin, l’extrême vieillesse et les extrêmes souffrances rendent un peu sérieux ; et il faudrait avoir un orgueil insupportable pour n’en pas convenir. Je fais contre fortune et contre nature bon cœur ; et je souhaite, mon cher ange, que vous n’en soyez jamais logé là. Conservez-moi toujours votre amitié, elle fera ma consolation.

8970. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Ferney, le 8 novembre.

Sire, la lettre dont Votre Majesté m’a honoré le 24 octobre est, depuis vingt ans, celle qui m’a le plus consolé ; votre temple aux mânes de votre sœur, Wilhelmine sacrum, est digne de la plus belle antiquité, et de vous seul dans le temps présent ; Mme la duchesse de Wurtemberg versera bien des larmes de tendresse en voyant le dessin de ce beau monument.

Le canal, les villes rebâties, les marais desséchés, les villages établis, la servitude abolie, sont de Marc-Aurèle ou de Julien. Je dis de Julien, car je le regarde comme le plus grand des empereurs, et je suis toujours indigné contre La Bletterie, qui ne l’a justifié qu’à demi, et qui a passé pour impartial parce qu’il ne lui prodigue pas autant d’injures et de calomnies que Grégoire de Nazianze et Théodoret.

Je vous bénis dans mon village de ce que vous en avez tant bâti ; je vous bénis au bord de mon marais de ce que vous en avez tant desséché ; je vous bénis avec mes laboureurs de ce que vous en avez tant délivré d’esclavage, et que vous les avez changés en hommes. Gengis-kan et Tamerlan ont gagné des batailles comme vous, ils ont conquis plus de pays que vous ; mais ils dévastaient, et vous améliorez. Je ne sais s’ils auraient recueilli les jésuites, mais je suis sûr que vous les rendrez utiles, sans souffrir qu’ils puissent jamais être dangereux. On dit qu’Antoine fit le voyage de Brindes à Rome dans un char traîné par des lions ; vous attelez des renards au vôtre, mais vous leur mettez un frein dans la gueule ; et, quand il le faudra, vous leur mettrez le feu au derrière comme Samson[1], après les avoir attachés par la queue. Tout ce qui me fâche, c’est que vous n’éta-

  1. Juges, xv, 5.