Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/564

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

9040. — À M. LE COMTE DE WARGEMONT[1].
30 janvier.

Vous êtes bien humain et bien généreux, monsieur, de vous souvenir d’un vieil ermite octogénaire, qui a joué de son reste avant de quitter la table de jeu, et qui ne sait encore s’il s’est retiré sur son gain.

Je n’ai qu’une idée très-confuse des petits mouvements faits, il y a plus d’un an, en Normandie ; mais j’en ai une très-nette des services que vous savez rendre au roi et à l’État. Si j’ai renoncé au monde, je n’ai pas certainement renoncé à l’intérêt que je pris à vos succès et à votre gloire, depuis que j’eus l’honneur de vous connaître. Les Normands sont quelquefois aussi difficiles à mener que le parterre de Paris ; mais vous êtes fait pour réussir dans tout ce que vous entreprenez.

L’état où je suis ne me permet pas d’écrire de longues lettres, quoiqu’il ne dérobe rien aux sentiments qui m’attachent à vous.

Agréez, monsieur, le sincère respect de votre, etc.

Le vieux Malade de Ferney.
9041. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
30 janvier.

Je commence par vous dire, monseigneur, que de tous mes confrères de quatre-vingts ans, je suis sans contredit le plus fou, puisque je donne, à mon âge, des pièces de théâtre. Ceux qui ont fait une cabale contre Sophonisbe sont des jeunes gens qui sont encore plus fous que moi. Le dévot sexe féminin, qui prétendait que l’auteur de la nouvelle Sophonisbe n’est pas assez pieux, était encore plus fou que tout le reste, surtout si on ajoutait deux lettres à cette belle épithète de fou.

J’avais imaginé que ces bagatelles pourraient être une occasion de faire parler de ce que vous savez[2] ; et c’est encore une autre espèce de folie, car, après tout, la sagesse consiste à savoir vivre et mourir en paix où l’on est.

Il m’est venu, ces jours passés, un Russe infiniment aimable[3] qui a gouverné pendant quinze ans despotiquement un empire

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Du retour de Voltaire à Paris.
  3. Jean Schouvalow ; voyez lettre 8978.