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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/577

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m’ait plu est le Quaterne[1] de Beaumarchais. Quel homme ! il réunit tout, la plaisanterie, le sérieux, la raison, la gaieté, la force, le touchant, tous les genres d’éloquence, et il n’en recherche aucun, et il confond tous ses adversaires, et il donne des leçons à ses juges. Sa naïveté m’enchante ; je lui pardonne ses imprudences et ses pétulances.

Je ne vous dis rien de votre Childebrand[2]. J’espère que vous me pardonnerez d’avoir respecté un ancien attachement. Je m’enveloppe, autant que je le puis, du manteau de la philosophie ; mais ce manteau est si étriqué, si percé de trous, que la bise y entre de tous les côtés. Adieu, mon très-cher philosophe, dont le manteau est d’un bien meilleur drap que le mien. Vivant ou mourant, tuus sum.

Raton.
9054. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
25 février.

Il y a longtemps, mon cher ange, que je voulais vous écrire, je ne l’ai pas pu ; j’ai eu une violente secousse de mes maux ordinaires, qui se sont tournés à l’extraordinaire. Je n’ai point appelé de médecin on meurt sans eux et on guérit sans eux. À présent que je respire un peu, et que j’ai lu le quatrième mémoire de Beaumarchais, il faut que je vous ouvre mon cœur.

Il y avait longtemps que M. le marquis de Condorcet m’avait un peu dessillé les yeux sur Marin, et m’avait même donné quelques inquiétudes, en me priant très-instamment de ne lui jamais écrire par un tel correspondant. M. de Condorcet me parlait de cet homme précisément comme Beaumarchais en parle. Dans ces circonstances, vous m’écrivez que Marin est l’unique cause du funeste contre-temps que j’ai essuyé à propos des Lois de Minos, contre-temps par lequel toutes mes espérances ont été détruites. Il n’est pas douteux qu’en effet ce ne soit Marin qui ait vendu la mauvaise copie au libraire Valade.

Vous voyez dans quel précipice cette perfidie mercenaire m’a plongé. Je me doutais déjà de ses manœuvres et de son avidité, par les plaintes qu’il m’avait faites de ce que vous aviez bien voulu faire partager entre Lekain et lui le produit de je ne sais plus quelle tragédie tout me paraît éclairci. Je me rappelle

  1. Le Quatrième Mémoire de Beaumarchais.
  2. Le maréchal de Richelieu.