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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/578

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même que M. de Sartines en était instruit, quand il me conseilla de ne pas pousser plus loin[1] l’affaire de Valade, et de ne pas exiger qu’il nommât le traître. Tout cela m’accable. Je vois toujours avec horreur de quoi certaines gens de lettres sont capables. J’ai le cœur gros, et pourtant il est bien serré.

Beaumarchais m’envoyait ses mémoires, et je ne le remerciais seulement pas, ne voulant point que Marin, sur lequel je n’avais encore que des soupçons, et auquel je confiais encore tous mes paquets, pût me reprocher d’être en correspondance avec son ennemi. Il faut vous dire encore que, Marin étant bien reçu chez monsieur le premier président (du moins avant le Quatrième Mémoire), j’écrivis à Mme de Sauvigny[2] que je ne voulais pas seulement remercier Beaumarchais de ses factums, parce que j’étais l’ami de Marin.

Je lis et je relis ce quatrième mémoire ; j’y vois les imprudences et la pétulance d’un homme passionné, poussé à bout, justement irrité, né très-plaisant et très-éloquent. Il me persuade tout ce qu’il dit ; il me développe surtout le caractère et la conduite de Marin ; et par le tableau qu’il fait de cet homme, il me confirme ce que vous m’en avez appris[3].

Vous me demanderez quel est le résultat de ma lettre ; le voici : c’est premièrement de vous supplier de me dire franchement ce qu’on pense de Marin dans Paris ; secondement, de vouloir bien m’apprendre s’il est vrai qu’il soit encore en crédit auprès de monsieur le premier président et de M. de Sartines, et quelle est sa situation auprès de M. le duc d’Aiguillon. Vous pouvez en être informé ; et il n’y a que vous dans le monde à qui je puisse le demander. N’allez pas me dire que je suis trop curieux, car je vous jure que j’ai raison de l’être. Ce Marin m’a plusieurs fois embâté ; il se faisait fort de réussir en tout, il me protégeait réellement. Enfin j’ai besoin d’être instruit, mon cher ange.

Je me flatte que vous ne croyez plus les contes qu’on vous a faits sur Beaumarchais, et que vous êtes détrompé comme moi. Un homme vif, passionné, impétueux, peut donner un soufflet à sa femme, et même deux soufflets à ses deux femmes, mais il ne les empoisonne pas[4].

  1. Voyez page 347.
  2. La lettre manque.
  3. M. de Voltaire ne connaissait pas encore, même de vue, M. de Beaumarchais, lorsqu’il écrivit cette lettre. (Note du correspondant général de la Société littéraire typographique.) (K.) — Ces mots désignent Beaumarchais.
  4. Je certifie que ce Beaumarchais-là, battu quelquefois par des femmes,