Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/315

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Sous le glaive étranger j’ai vu tout abattu.
De quoi nous a servi d’adorer la vertu ?
Nous étions vainement, dans une paix profonde,
Et les législateurs et l’exemple du monde ;
Vainement par nos lois l’univers fut instruit :
La sagesse n’est rien ; la force a tout détruit.
J’ai vu de ces brigands la horde hyperborée[1],
Par des fleuves de sang se frayant une entrée
Sur les corps entassés de nos frères mourants,
Portant partout le glaive et les feux dévorants.
Ils pénètrent en foule à la demeure auguste
Où de tous les humains le plus grand, le plus juste,
D’un front majestueux attendait le trépas.
La reine évanouie était entre ses bras.
De leurs nombreux enfants ceux en qui le courage
Commençait vainement à croître avec leur âge,
Et qui pouvaient mourir les armes à la main,
Étaient déjà tombés sous le fer inhumain.
Il restait près de lui ceux dont la tendre enfance
N’avait que la faiblesse et des pleurs pour défense ;
On les voyait encore autour de lui pressés,
Tremblants à ses genoux qu’ils tenaient embrassés.
J’entre par des détours inconnus au vulgaire ;
J’approche en frémissant de ce malheureux père ;
Je vois ces vils humains, ces monstres des déserts,
À notre auguste maître osant donner des fers,
Traîner dans son palais, d’une main sanguinaire,
Le père, les enfants, et leur mourante mère.

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C’est donc là leur destin ! Quel changement, ô cieux !

zamti

Ce prince infortuné tourne vers moi les yeux ;
Il m’appelle, il me dit, dans la langue sacrée,
Du conquérant tartare et du peuple ignorée :
« Conserve au moins le jour au dernier de mes fils ! »
Jugez si mes serments et mon cœur l’ont promis ;

  1. Voltaire avait employé ce mot dans son Épitre à Uranie, où il dit :

    Amérique, vastes contrées,
    Peuples que Dieu fit naître aux portes du Soleil,
    Vous, nations hyperborées.

    Laharpe fait remarquer la nouveauté de l’expression de horde hyperborée.