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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/468

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POLLY.

Vous me faites bien de l’honneur.

MONROSE.

Vous savez sans doute qui est votre maîtresse ?

POLLY.

Oui, monsieur, c’est la plus douce, la plus aimable fille, la plus courageuse dans le malheur.

MONROSE.

Elle est donc malheureuse ?

POLLY.

Oui, monsieur, et moi aussi ; mais j’aime mieux la servir que d’être heureuse.

MONROSE.

Mais je vous demande si vous ne connaissez pas sa famille.

POLLY,

Monsieur, ma maîtresse veut être inconnue : elle n’a point de famille ; que me demandez-vous là ? pourquoi ces questions ?

MONROSE.

Une inconnue ! Ô ciel si longtemps impitoyable ! s’il était possible qu’à la fin je pusse ! … Mais quelles vaines chimères ! Dites-moi, je vous prie, quel est l’âge de votre maîtresse ?

POLLY.

Oh ! pour son âge, on peut le dire ; car elle est bien au-dessus de son âge ; elle a dix-huit ans.

MONROSE.

Dix-huit ans ! … hélas ! ce serait précisément l’âge qu’aurait ma malheureuse Monrose, ma chère fille, seul reste de ma maison, seul enfant que mes mains aient pu caresser dans son berceau : dix-huit ans ? …

POLLY.

Oui, monsieur, et moi je n’en ai que vingt-deux : il n’y a pas une si grande différence. Je ne sais pas pourquoi vous faites tout seul tant de réflexions sur son âge.

MONROSE.

Dix-huit ans ! et née dans ma patrie ! et elle veut être inconnue ! je ne me possède plus : il faut, avec votre permission, que je la voie, que je lui parle tout à l’heure.

POLLY.

Ces dix-huit ans tournent la tête à ce bon vieux gentilhomme. Monsieur, il est impossible que vous voyiez à présent ma maîtresse ; elle est dans l’affliction la plus cruelle.