Vous me faites bien de l’honneur.
Vous savez sans doute qui est votre maîtresse ?
Oui, monsieur, c’est la plus douce, la plus aimable fille, la plus courageuse dans le malheur.
Elle est donc malheureuse ?
Oui, monsieur, et moi aussi ; mais j’aime mieux la servir que d’être heureuse.
Mais je vous demande si vous ne connaissez pas sa famille.
Monsieur, ma maîtresse veut être inconnue : elle n’a point de famille ; que me demandez-vous là ? pourquoi ces questions ?
Une inconnue ! Ô ciel si longtemps impitoyable ! s’il était possible qu’à la fin je pusse ! … Mais quelles vaines chimères ! Dites-moi, je vous prie, quel est l’âge de votre maîtresse ?
Oh ! pour son âge, on peut le dire ; car elle est bien au-dessus de son âge ; elle a dix-huit ans.
Dix-huit ans ! … hélas ! ce serait précisément l’âge qu’aurait ma malheureuse Monrose, ma chère fille, seul reste de ma maison, seul enfant que mes mains aient pu caresser dans son berceau : dix-huit ans ? …
Oui, monsieur, et moi je n’en ai que vingt-deux : il n’y a pas une si grande différence. Je ne sais pas pourquoi vous faites tout seul tant de réflexions sur son âge.
Dix-huit ans ! et née dans ma patrie ! et elle veut être inconnue ! je ne me possède plus : il faut, avec votre permission, que je la voie, que je lui parle tout à l’heure.
Ces dix-huit ans tournent la tête à ce bon vieux gentilhomme. Monsieur, il est impossible que vous voyiez à présent ma maîtresse ; elle est dans l’affliction la plus cruelle.