Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/593

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du crime horrible de rébellion, et te rendre par là même si indigne du trône où tu aspires ? Pourquoi d’un côté te joindre à Samuel, notre ennemi domestique ; et de l’autre au roi de Geth, Akis, notre ennemi déclaré ?

DAVID.

Ma noble épouse, ne me condamnez pas sans m’entendre : vous savez qu’un jour, dans le village de Bethléem, Samuel répandit de l’huile sur ma tête[1] : ainsi je suis roi, et vous êtes la femme d’un roi ; si je me suis joint aux ennemis de la nation, si j’ai fait du mal à mes concitoyens, j’en ai fait davantage à ces ennemis mêmes. Il est vrai que j’ai engagé ma foi au roi de Geth, le généreux Akis : j’ai rassemblé cinq cents malfaiteurs[2] perdus de dettes et de débauches, mais tous bons soldats. Akis nous a reçus, nous a comblés de bienfaits ; il m’a traité comme son fils, il a eu en moi une entière confiance ; mais je n’ai jamais oublié que je suis juif ; et ayant des commissions du roi Akis pour aller ravager vos terres, j’ai très-souvent ravagé les siennes : j’allais dans les villages les plus éloignés, je tuais[3] tout sans miséricorde, je ne pardonnais ni au sexe ni à l’âge, afin d’être pur devant le Seigneur ; et, afin qu’il ne se trouvât personne qui pût me déceler auprès du roi Akis, je lui amenais les bœufs, les ânes, les moutons, les chèvres des innocents agriculteurs que j’avais égorgés, et je lui disais, par un salutaire mensonge, que c’étaient les bœufs, les ânes, les moutons et les chèvres des Juifs ; quand je trouvais quelque résistance, je faisais scier[4] en deux, par le milieu du corps, ces insolents rebelles, ou je les écrasais sous les dents de leur herse, ou je les faisais rôtir dans des fours à brique[5]. Voyez si c’est aimer sa patrie, si c’est être bon Israélite.

MICHOL.

Ainsi, cruel, tu as également répandu le sang de tes frères et celui de tes alliés, tu as donc trahi également ces deux bienfaiteurs, rien ne t’est sacré : tu trahiras ainsi ta chère Michol, qui brûle pour toi d’un si malheureux amour.

DAVID.

Non, je le jure par la verge d’Aaron, par la racine de Jessé, je vous serai toujours fidèle.

  1. Rois, I, chap. xvi, verset 13.
  2. Rois. I, chap. xxii, verset 2.— Le texte dit quatre cents. (B.)
  3. Rois, I, chap. xxvii, versets 8, 9, 10, 11.
  4. Rois, II, chap. xii, verset 31.
  5. L’auteur confond ici les Ammonites avec les habitants de Geth.