J’étais au ciel !… Ah ! qu’il m’était bien dur
De retomber dans mon état obscur ;
Le cœur tout plein de ce grand étalage,
De me trouver au fond de mon village,
Et de descendre, après ce vol divin,
Des Amadis à maître Mathurin[1] !
Votre propos me ravit ; et je jure
Que j’ai déjà du goût pour la lecture.
T’en souvient-il autant qu’il m’en souvient,
Que ce marquis, ce beau seigneur, qui tient
Dans le pays le rang, l’état d’un prince,
De sa présence honora la province ?
Il s’est passé juste un an et deux mois
Depuis qu’il vint pour cette seule fois.
T’en souvient-il ? Nous le vîmes à table,
Il m’accueillit : ah ! qu’il était affable !
Tous ses discours étaient des mois choisis.
Que l’on n’entend jamais dans ce pays :
C’était, Colette, une langue nouvelle,
Supérieure et pourtant naturelle ;
J’aurais voulu l’entendre tout le jour.
Tu l’entendras, sans doute, à son retour.
Ce jour, Colette, occupe ta mémoire,
Où monseigneur, tout rayonnant de gloire,
Dans nos forêts, suivi d’un peuple entier,
Le fer en main courait le sanglier ?
Oui, quelque idée et confuse et légère
Peut m’en rester.
Je crois le voir avec cet air si grand,
Sur ce cheval superbe et bondissant ;
Près d’un gros chêne il perce de sa lance
- ↑ Certains amis de Voltaire voulaient lui faire retrancher la tirade des romans. Voltaire la défendit au nom de sa nièce. Voyez la lettre à Damilaville du 15 juin 1761. (G. A.)