Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/40

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Le sanglier qui contre lui s’élance :
Dans ce moment j’entendis mille voix,
Que répétaient les échos de nos bois ;
Et de bon cœur (il faut que j’en convienne)
J’aurais voulu qu’il démêlât la mienne.
De son départ je fus encor témoin :
On l’entourait, je n’étais pas bien loin,
il me parla… Depuis ce jour, ma chère,
Tous les romans ont le don de me plaire :
Quand je les lis, je n’ai jamais d’ennui ;
Il me paraît qu’ils me parlent de lui.

COLETTE.

Ah ! qu’un roman est beau !

ACANTHE.

Ah ! qu’un roman est beau ! C’est la peinture
Du cœur humain, je crois, d’après nature.

COLETTE.

D’après nature ! … Entre nous deux, ton cœur
N’aime-t-il pas en secret monseigneur ?

ACANTHE.

Oh ! non ; je n’ose : et je sens la distance
Qu’entre nous deux mit son rang, sa naissance.
Crois-tu qu’on ait des sentiments si doux
Pour ceux qui sont trop au-dessus de nous ?
À cette erreur trop de raison s’oppose.
Non, je ne l’aime point… mais il est cause
Que, l’ayant vu, je ne puis à présent
En aimer d’autre… et c’est un grand tourment.

COLETTE.

Mais de tous ceux qui le suivaient, ma bonne,
Aucun n’a-t-il cajolé ta personne ?
J’avouerai, moi, que l’on m’en a conté.

ACANTHE.

Un étourdi prit quelque liberté ;
Il s’appelait le chevalier Gernance :
Son fier maintien, ses airs, son insolence,
Me révoltaient, loin de m’en imposer.
Il fut surpris de se voir mépriser ;
Et, réprimant sa poursuite hardie,
Je lui fis voir combien la modestie
Était plus fière, et pouvait d’un coup d’œil
Faire trembler l’impudence et l’orgueil.