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DISCOURS HISTORIQUE ET CRITIQUE. 497

« Quel est le prétexte de cette Loucherie ? c’est que les uns adorent Dieu sous le nom phénicien d’Adonai ; les autres, sous le nom chaldéen de Baal ou Bel. En bonne foi, est-ce là une raison pour massacrer ses concitoyens, ses parents, comme il l’ordonne ? Quoi ! parce que Racine est janséniste, il veut qu’on fasse une Saint-Barthélémy des liéréti(]ues !

« Il est d’autant plus permis d’avoir en exécration l’assassinat et les fureurs de Joad, que les livres juifs, que toute la terre sait être inspirés de Dieu, ne lui donnent aucun éloge. J’ai vu plusieurs de mes compatriotes qui regardent du même œil Joad et Cromwell : ils disent que l’un et l’autre se servent de la religion pour faire mourir leurs monarques. J’ai vu même des gens difficiles qui disaient que le prêtre Joad n’avait pas plus de droit d’assassiner Athalie que votre jacobin Clément n’en avait d’assassiner Henri III.

« On n’a jamais joué Aihalie chez nous ; je m’imagine que c’est parce qu’on y déteste un prêtre qui assassiné sa reine sans la sanction d’un acte passé en parlement,

— C’est peut-êti-c, lui répondis-je, parce qu’on ne tue qu’une seule reine dans cette pièce ; il en faut des douzaines aux Anglais, avec autant de spectres.

— Non, croyez-moi, me répliqua-t-il, si on ne joue point Aihalie à Londres, c’est qu’il n’y a point assez d’action i)our nous ; c’est que tout s’y passe en longs discours ; c’est que les quatre premiers actes entiers sont des préparatifs ; c’est que Josabeth et Mathan sont des personnages peu agissants ; c’est que le grand mérite de cet ouvrage consiste dans l’extrême simplicité et dans l’élégance noble du style. La simplicité n’est point du tout un mérite sur notre théâtre ; nous voulons bien plus de fracas, d’intrigue, d’action, et d’événements variés : les autres nations nous blâment ; mais sont-elles en droit de vouloir nous empêcher d’avoir du plaisir à notre manière ? En fait de goût, comme de gouvernement, chacun doit être le maître chez soi. Pour la beauté de la versification, elle ne se peut jamais traduire. Enfin le jeune Éliacin, en long habit de lin, et le petit Zacharie, tous deux présentant le sel au grand-prêtre, ne feraient aucun effet sur les têtes de mes compatriotes, qui veulent être profondément occupées et fortement remuées.

« Personne ne court véritablement le moindre danger dans cette pièce jusqu’au moment où la trahison du grand-prêtre éclate, car assurément on ne craint point qu’Athalie fasse tuer le petit Joas ; elle n’en a nulle envie, elle veut l’élever comme son

C. — Théâtre. V. 32