Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/83

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C’est peu qu’au poids de sa triste misère
On ajoutât ce fardeau nécessaire ;
Votre parent qui voulait l’enlever,
Votre parent qui vient de nous prouver
Combien il tient de son coupable père,
Gernance enfin…

LE MARQUIS.

Gernance enfin… Gernance ?

DORMÈNE.

Gernance enfin… Gernance ? Il est son frère.

LE MARQUIS.

Quel coup horrible ! ô ciel ! qu’avez-vous dit ?

DORMÈNE.

Entre vos mains vous avez cet écrit,
Qui montre assez ce que nous devons craindre :
Lisez, voyez combien Laure est à plaindre.

(Le marquis lit.)

C’est ma parente ; et mon cœur est lié
À tous ses maux que sent mon amitié.
Elle mourra de l’affreuse aventure
Qui sous ses yeux outrage la nature.

LE MARQUIS.

Ah ! qu’ai-je lu ! que souvent nous voyons
D’affreux secrets dans d’illustres maisons !
De tant de coups mon âme est oppressée ;
Je ne vois rien, je n’ai point de pensée.
Ah ! pour jamais il faut quitter ces lieux :
Ils m’étaient chers, ils me sont odieux.
Quel jour pour nous ! quel parti dois-je prendre ?
Le malheureux ose chez moi se rendre !
Le voyez-vous ?

DORMÈNE.

Le voyez-vous ? Ah ! monsieur, je le voi,
Et je frémis.

LE MARQUIS.

Et je frémis. Il passe, il vient à moi.
Daignez rentrer, madame, et que sa vue
N’accroisse pas le chagrin qui vous tue ;
C’est à moi seul de l’entendre ; et je crois
Que ce sera pour la dernière fois.
Sachons dompter le courroux qui m’anime.

(En regardant de loin.)


Il semble, ô ciel ! qu’il connaisse son crime.
Que dans ses yeux je lis d’égarement !
Ah ! l’on n’est pas coupable impunément.
Comme il rougit ! comme il pâlit !… le traître !
À mes regards il tremble de paraître :
C’est quelque chose.

(Tandis qu’il parle, Dormène se retire en regardant attentivement Gernance.)