Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/370

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Je n'ai point disputé cet empire funeste ;
Il n'était rien sans vous : la justice céleste
N'en devait dépouiller d'indignes souverains
Que pour le rétablir par vos augustes mains.
Régnez, puisque je règne, et que ce jour commence
Mon bonheur et le vôtre, et celui de Byzance[1].

irène

Quel bonheur effroyable ! Ah, prince ! Oubliez-vous
Que vous êtes couvert du sang de mon époux ?

alexis

Oui ! Je veux de la terre effacer sa mémoire ;
Que son nom soit perdu dans l'éclat de ma gloire ;
Que l'empire romain, dans sa félicité,
Ignore s'il régna, s'il a jamais été.
Je sais que ces grands coups, la première journée,
Font murmurer la Grèce et l'Asie étonnée :
Il s'élève soudain des censeurs, des rivaux :
Bientôt on s'accoutume à ses maîtres nouveaux ;
On finit par aimer leur puissance établie :
Qu'on sache gouverner, madame, et tout s'oublie.
Après quelques moments d'une juste rigueur,
Que l'intérêt public exige d'un vainqueur,
Ramenez les beaux jours où l'heureuse Livie
Fit adorer Auguste à la terre asservie.

irène

Alexis ! Alexis ! Ne nous abusons pas :
Les forfaits et la mort ont marché sur nos pas ;
Le sang crie ; il s'élève, il demande justice.
Meurtrier de césar, suis-je votre complice ?

alexis

Ce sang sauvait le vôtre, et vous m'en punissez !
Qui ? Moi ? Je suis coupable à vos yeux offensés !
Un despote jaloux, un maître impitoyable,
Grâce au seul nom d'époux, est pour vous respectable !
Ses jours vous sont sacrés ! Et votre défenseur
N'était donc qu'un rebelle, et n'est qu'un ravisseur !

  1. « On dira toujours, écrivait Voltaire, qu’Alexis a tort de vouloir épouser Irène immédiatement après avoir tué son mari. Je dirai, comme les autres, qu’il a grand tort, et que c’est ce tort inexcusable que j’ai voulu mettre sur le théàtre. » À ce propos, les amis de. M. de Voltaire trouvaient qu’Irène avait quelque ressemblanceavec Sophonisbe. (G. A.)