Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/252

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Il enchante ces lieux par un charme invincible.
Des myrtes enlacés, que d’un prodigue sein
La terre obéissante a fait naître soudain,
Dans les lieux d’alentour étendent leur feuillage :
À peine a-t-on passé sous leur fatal ombrage,
Par des liens secrets on se sent arrêter ;
On s’y plaît, on s’y trouble, on ne peut les quitter.
On voit fuir sous cette ombre une onde enchanteresse ;
Les amants fortunés, pleins d’une douce ivresse,
Y boivent à longs traits l’oubli de leur devoir.
L’Amour dans tous ces lieux fait sentir son pouvoir :
Tout y paraît changé ; tous les cœurs y soupirent :
Tous sont empoisonnés du charme qu’ils respirent :
Tout y parle d’amour. Les oiseaux dans les champs
Redoublent leurs baisers, leurs caresses, leurs chants.
Le moissonneur ardent, qui court avant l’aurore
Couper les blonds épis que l’été fait éclore,
S’arrête, s’inquiète, et pousse des soupirs :
Son cœur est étonné de ses nouveaux désirs :
Il demeure enchanté dans ces belles retraites,
Et laisse, en soupirant, ses moissons imparfaites.
Près de lui, la bergère, oubliant ses troupeaux,
De sa tremblante main sent tomber ses fuseaux.
Contre un pouvoir si grand qu’eût pu faire d’Estrée[1] ?
Par un charme indomptable elle était attirée ;
Elle avait à combattre, en ce funeste jour,
Sa jeunesse, son cœur, un héros, et l’Amour.
Quelque temps de Henri la valeur immortelle
Vers ses drapeaux vainqueurs en secret le rappelle :
Une invisible main le retient malgré lui.
Dans sa vertu première il cherche un vain appui :
Sa vertu l’abandonne, et son âme enivrée
N’aime, ne voit, n’entend, ne connaît que d’Estrée.
Loin de lui cependant tous ses chefs étonnés
Se demandent leur prince, et restent consternés.
Ils tremblaient pour ses jours ; aucun d’eux n’eût pu croire
Qu’on eût, dans ce moment, dû craindre pour sa gloire :

  1. Imitation de Boileau, épitre VIII, vers 64 :
    Ne regarde, n'entend, ne connaît plus que toi.