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30 LKTTUK DE M. COCCIII

Tout reloge quo puisse jamais mériter un poëme i)Our le ijon choix de son sujet est certainement dû à la Henriade, d'autant jjIus que, par une suite naturelle, il a été nécessaire de raconter le massacre de la Saint-Bartlié- lemy, le meurtre de Henri III, la bataille d'Ivry, et la famine de Paris : évé- nements tous vrais, tous extraordinaires, tous terribles, et tous représentés avec cette admirable vivacité qui excite dans le spectateur et de l'horreur et de la compassion; efTets que doivent produire pareilles peintures, quand elles sont de main de maître.

Le nombre d'acteurs dans la Henriade n'est pas grand ; mais ils sont tous remarquables dans leurs rôles, et extrêmement bien dépeints dans leurs mœurs.

Le caractère du héros Henri IV est d'autant plus incomparable que l'on y voit la valeur, la prudence militaire, riuimanité, et l'amour, s'entre- disputer le pas, et se le céder tour \x tour, et toujours à propos pour sa gloire.

Celui de Mornay, son ami intime, est certainement rare; il est représenté comme un philosophe saVant, courageux, prudent, et bon.

Les êtres invisibles, sans l'entremise desquels les poètes n'oseraient entreprendre un poëme, sont bien ménagés dans celui-ci, et aisés à sup- poser : telles sont l'àme de saint Louis, et quelques passions humaines personnifiées; encore l'auteur les a-t-il employées avec tant de jugement et d'économie, que l'on peut facilement les prendre pour des allégories.

En voyant que ce poëme soutient toujours sa beauté, sans être farci, comme tous les autres, d'une infinité d'agents surnaturels, cela m'a confirmé dans l'idée que j'ai toujours eue que, si l'on retranchait de la poésie épique ces personnages imaginaires, invisibles, et tout-puissants, et qu'on les rem- plaçât, comme dans les tragédies, par des personnages réels, le poëme n'en deviendrait que plus beau.

Ce qui m'a d'abord fait venir cette pensée, c'est d'avoir observé que, dans Homère, Virgile, le Dante, l'Arioste, le Tasse, Milton, et en un mot dans tous ceux que j'ai lus, les plus beaux endroits de leurs poëmes ne sont pas ceux oii ils font agir ou parler les dieux, le diable, le destin, et les esprits; au contraire tout cela fait rire, sans jamais produire dans le cœur ces sentiments touchants qui naissent de la représentation de quelque action insigne, proportionnée à la capacité de l'homme notre égal, et qui ne passe point la sphère ordinaire des passions de notre âme.

C'est pouniuoi j'ai admiré le jugement de ce poëte, qui, pour enfermer sa fiction dans les bornes de la vraisemblance et des facultés humaines, a placé le transport de son héros au ciel et aux enfers dans un songe, dans lequel ces sortes de visions peuvent paraître naturelles et croyables.

D'ailleurs il faut avouer que sur la constitution de l'univers, sur les lois de la nature, sur la morale, et sur l'idée (pi'il faut se former du mal et du bien, des vertus et du vice, le poëte sur tout cela a parlé avec tant de force et de justesse que l'on ne peut s'empêcher de reconnaître en lui un génie supérieur, et une connaissance parfaite de tout ce que les philosophes modernes ont de plus raisonnable dans leur système.

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