Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/490

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liant ot persévérant, qui Jour l’ait fabriquer des draps plus forts que les nôtres, leur fait aussi écrire des livres de philosophie plus profonds: La devise du célèhre ministre d’État Walpole, fari (ji(,v sentiat, est la devise des philosophes anglais. Ils mar- chent plus ferme et plus loin que nous dans la même carrière ; ils creusent à cent pieds le sol que nous effleurons. Il y a tel livre français qui nous étonne par sa hardiesse, et qui paraîtrait écrit avec timidité s’il était confronté avec ce que vingt auteurs anglais ont écrit sur le même sujet.

Pourquoi l’Italie, la mère des arts, de qui nous avons appris à lire, a-t-elle langui près de deux cents ans dans une décadence déplorable ? C’est qu’il n’a pas été permis jusqu’à nos jours à un philosophe italien d’oser regarder la vérité à travers son télescope ; de dire, par exemple, que le soleil est au centre de notre monde, et que le blé ne pourrit point dans la terre pour y germer. Les Italiens ont dégénéré jusqu’au temps de Muratori et de ses illustres contemporains. Ces peuples ingénieux ont craint de penser ; les Français n’ont osé penser qu’à demi ; et les Anglais, qui ont volé jusqu’au ciel, parce qu’on ne leur a point coupé les ailes, sont devenus les précepteurs des nations. Nous leur devons tout, depuis les lois primitives de la gravitation, depuis le calcul de l’infini, et la connaissance précise de la lumière, si vainement combattue, jusqu’à la nouvelle charrue et à l’insertion de la petite vérole, combattues encore.

Il faudrait savoir un peu mieux distinguer le dangereux et l’utile, la licence et la sage liberté, abandonner l’école à son ridicule, et respecter la raison. Il a été plus facile aux Hérules, aux Vandales, aux Goths, et aux Francs, d’empêcher la raison de naître, qu’il ne le serait aujourd’hui de lui ôter sa force quand elle est née. Cette raison épurée, soumise à la religion et à la loi, éclaire enfin ceux .qui abusent de l’une et de l’autre; elle pénètre lentement, mais sûrement ; et au bout d’un demi-siècle une nation est surprise de ne plus ressembler à ses barbares ancêtres.

Peuple nourri dans l’oisiveté et dans l’ignorance, peuple si aisé à enflammer et si difflcilc à instruire, qui courez des farces du cimetière de Saint-Médard aux farces de la foire ; qui vous passionnez tantôt pour un Quesnel, tantôt pour une actrice de la Comédie italienne ; qui élevez une statue en un jour, et le lendemain la couvrez de bouc ; peuple qui dansez et chantez en mur-

1. Dans sa première aux Corinthiens, ch. xv, vers, 36, saint Paul dit : « Quod seminas non vivificatur, nisi prius moriatur. » ( B.)