Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/114

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Ainsi, dit-on, lorsque tu fis la guerre
Imprudemment au maître du tonnerre[1],
Tu vis sur toi s’élancer saint Michel,
Vengeur fatal des injures du ciel.



" Réduit alors à défendre ma vie,
J’eus mon recours à la sorcellerie.
Je dépouillai d’un nerveux cordelier
Le sourcil noir et le visage altier :
Je pris la mine et la forme charmante
D’une beauté douce, fraîche, innocente ;
De blonds cheveux se jouaient sur mon sein ;
De gaze fine une étoffe brillante
Fit entrevoir une gorge naissante.
J’avais tout l’art du sexe féminin :
Je composais mes yeux et mon visage ;
On y voyait cette naïveté
Qui toujours trompe, et qui toujours engage.
Sous ce vernis un air de volupté
Eût des humains rendu fou le plus sage.
J’eusse amolli le cœur le plus sauvage ;
Car j’avais tout, artifice et beauté.
Mon paladin en parut enchanté.
J’allais périr ; ce héros invincible
Avait levé son braquemart terrible[2] ;
Son bras étais à demi descendu,
Et Grisbourdon se croyait pourfendu.
Dunois regarde, il s’émeut, il s’arrête.
Qui de Méduse eût vu jadis la tête
Était en roc mué soudainement :
Le beau Dunois changea bien autrement.
Il avait l’âme avec les yeux frappée ;
Je vis tomber sa redoutable épée :
Je vis Dunois sentir à mon aspect
Beaucoup d’amour et beaucoup de respect.
Qui n’aurait cru que j’eusse eu la victoire ?

  1. Cette guerre n‘est rapportée que dans le livre apocryphe sous le nom d‘Énoch; il n‘en est parlé ailleurs dans aucun livre juif. Le chef de l‘armée céleste était en effet Michel, comme le dit notre auteur; mais le capitaine des mauvais anges n’était point Satan, c'était Semexiah : on peut excuser cette inadvertance dans un long poème. (Note de Voltaire. 1762.)
  2. Ancien mot qui signif‍ie cimeterre. (Id., 1762.) — Voyez, pour l’étymologie de ce mot, la note 2 de la page 122.