Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/123

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Tu vois mes pleurs, ah, Jeanne ! je me meurs. "



Jeanne répond : " Faquin, je te fais grâce ;
Dans ton vil sang, de fange tout chargé,
Ce fer divin ne sera point plongé.
Végète encor, et que ta lourde masse
Ait à l’instant l’honneur de me porter :
Je ne te puis en mulet translater ;
Mais ne m’importe ici de ta figure ;
Homme ou mulet, tu seras ma monture.
Dunois m’a pris l’âne qui fut pour moi,
Et je prétends le retrouver en toi.
Çà, qu’on se courbe ". Elle dit, et la bête
Baisse à l’instant sa chauve et lourde tête,
Marche des mains, et Jeanne sur son dos
Va dans les champs affronter les héros.
Pour le génie, il jura par son père
De tourmenter toujours les bons Français ;
Son cœur navré pencha vers les Anglais ;
Il se promit, dans sa juste colère,
De se venger du tour qu’on lui jouait,
De bien punir tout Français indiscret
Qui pour son dam passerait sur sa terre.
Il fait bâtir au plus vite un château
D’un goût bizarre, et tout à fait nouveau,
Un labyrinthe, un piège où sa vengeance
Veut attraper les héros de la France[1].



Mais que devint la belle Agnès Sorel ?
Vous souvient-il de son trouble cruel ?
Comme elle fut interdite, éperdue,
Quand Jean Chandos l’embrassait toute nue ?
Ce Jean Chandos s’élança de ses bras
Très-brusquement, et courut aux combats.
La belle Agnès crut sortir d’embarras.
De son danger encor toute surprise,
Elle jurait de n’être jamais prise
A l’avenir en un semblable cas.
Au bon roi Charle elle jurait tout bas
D’aimer toujours ce roi qui n’aime qu’elle,
De respecter ce tendre et doux lien,
Et de mourir plutôt qu’être infidèle :

  1. Voyez le dix-septième chant. (Note de Voltaire, 1773.)