Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/217

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Se tire au dés[1], et tout en va bien mieux.
Si j’osais même en cette noble histoire
Citer des gens que tout mortel doit croire,
Je vous dirais que monsieur saint Mathias
Obtint ainsi la place de Judas.
Le gros Bonneau tient le cornet, soupire,
Craint pour son roi, prend les dés, roule, tire.
Denys, du haut du céleste rempart,
Voyait le tout d’un paternel regard ;
Et, contemplant la Pucelle et son âne,
Il conduisait ce qu’on nomme hasard.
Il fut heureux, le sort échut à Jeanne.
Jeanne, c’était pour vous faire oublier
L’infâme jeu de ce grand cordelier,
Qui ci-devant avait raflé vos charmes.



Jeanne à l’instant court au roi, court aux armes,
Modestement va derrière un buisson
Se délacer, détacher son jupon,
Et revêtir son armure sacrée,
Qu’un écuyer tient déjà préparée ;
Puis sur son âne elle monte en courroux,
Branlant sa lance, et serrant les genoux :
Elle invoquait les onze mille belles,
Du pucelage héroïnes fidèles[2].
Pour Jean Chandos, cet indigne chrétien,
Dans les combats n’invoquait jamais rien.



Jean contre Jeanne avec fureur avance :
Des deux côtés égale est la vaillance ;
Ane et cheval, bardés, coiffés de fer,
Sous l’éperon partent comme un éclair,
Vont se heurter, et de leur tête dure
Front contre front fracassent leur armure ;
La flamme en sort, et le sang du coursier
Teint les éclats du voltigeant acier.
Du choc affreux les échos retentissent ;
Des deux coursiers les huit pieds rejaillissent ;

  1. Les exemples des sorts sont très-fréquents dans Homère. On devinait aussi par les sorts chez les Hébreux. Il est dit que la place de Judas fut tirée au sort; et aujourd'hui à Venise, à Gênes, et dans d'autres États, on tire au sort plusieurs places. (Note de Voltaire, 1762.) — C'est dans les Actes des Apôtres, i, 26, qu'il est dit que la place de Judas fut tirée au sort. (R.)
  2. Les onze mille vierges et martyres enterrées à Cologne. (N. de Voltaire, 1762.)