Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/315

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Des cris perçants que jetait Dorothée :
Jamais l’amour ne l’a plus transportée ;
Son tendre cœur jamais ne ressentit
Un trouble égal. " Eh quoi ! sur le pré même
Où je goûtais les pures voluptés,
Dieux tout-puissants, je perdrais ce que j’aime !
Cher La Trimouille ! Ah ! barbare, arrêtez ;
Barbare Anglais, percez mon sein timide. "



Disant ces mots, courant d’un pas rapide,
Les bras tendus, les yeux étincelants,
Elle s’élance entre les combattants.
De son amant la poitrine d’albâtre,
Ce doux satin, ce sein qu’elle idolâtre,
Était déjà vivement effleuré
D’un coup terrible à grand’peine paré.
Le beau Français, que sa blessure irrite,
Sur le Breton vole et se précipite.
Mais Dorothée était entre les deux.
O dieu d’amour ! ô ciel ! ô coup affreux !
O quel amant pourra jamais apprendre,
Sans arroser mes écrits de ses pleurs,
Que des amants le plus beau, le plus tendre,
Le plus comblé des plus douces faveurs,
A pu frapper sa maîtresse charmante !
Ce fer mortel, cette lame sanglante
Perçait ce cœur, ce siège des amours,
Qui pour lui seul fut embrasé toujours :
Elle chancelle, elle tombe expirante,
Nommant encor La Trimouille… et la mort,
L’affreuse mort déjà s’emparait d’elle :
Elle le sent ; elle fait un effort,
Rouvre les yeux qu’une nuit éternelle
Allait fermer ; et de sa faible main,
De son amant touchant encor le sein,
Et lui jurant une ardeur immortelle,
Elle exhalait son âme et ses sanglots ;
Et " J’aime… J’aime… " étaient les derniers mots
Que prononça cette amante fidèle.
C’était en vain. Son La Trimouille, hélas !
N’entendait rien. Les ombres du trépas
L’environnaient ; il est tombé près d’elle
Sans connaissance : il était dans ses bras