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LA BASTILLE


(1717[1])


Or ce fut donc par un matin, sans faute,
En beau printemps, un jour de Pentecôte,
Qu’un bruit étrange en sursaut m’éveilla.
Un mien valet, qui du soir était ivre :
« Maître, dit-il, le Saint-Esprit est là ;
C’est lui sans doute, et j’ai lu dans mon livre
Qu’avec vacarme il entre chez les gens. »
Et moi de dire alors entre mes dents :
« Gentil puîné de l’essence suprême,
Beau Paraclet, soyez le bienvenu ;
N’êtes-vous pas celui qui fait qu’on aime ? »

En achevant ce discours ingénu,
Je vois paraître au bout de ma ruelle,
Non un pigeon, non une colombelle,
De l’Esprit saint oiseau tendre et fidèle,
Mais vingt corbeaux de rapine affamés,
Monstres crochus que l’enfer a formés.
L’un près de moi s’approche en sycophante :
Un maintien doux, une démarche lente,
Un ton cafard, un compliment flatteur,
Cachent le fiel qui lui ronge le cœur.
« Mon fils, dit-il, la cour sait vos mérites ;
On prise fort les bons mots que vous dites,
Vos petits vers, et vos galants écrits ;
Et, comme ici tout travail a son prix,

  1. Les Mémoires de la Bastille disent que Voltaire fut mis à la Bastille le 17 mai 1717 : c’était le lendemain de la Pentecôte. Les Mémoires de Dangeau parlent de cet événement, à la date du 19 mai 1717, comme d’un fait récent, mais dont ils ne donnent pas le jour. Un registre manuscrit que j’ai vu, et qu’on m’a dit être l’original, porte au 16 mai l’entrée de Voltaire à la Bastille ; ce qui est d’accord avec le texte même de sa pièce. Ces témoignages ne laissant aucun doute sur l’année. Voltaire indique lui-même, dans sa pièce, le jour où l’on vint l’arrêter. (B.)