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LA BASTILLE.

Le roi, mon fils, plein de reconnaissance,
Veut de vos soins vous donner récompense,
Et vous accorde, en dépil des rivaux,
Un logement dans un de ses châteaux.
Les gens de bien qui sont à votre porte
Avec respect vous serviront d’escorte ;
Et moi, mon fils, je viens de par le roi
Pour m’acquitter de mon petit emploi[1].
— Trigaud, lui dis-je, à moi point ne s’adresse
Ce beau début ; c’est me jouer d’un tour :
Je ne suis point rimeur suivant la cour ;
Je ne connais roi, prince, ni princesse ;
Et, si tout bas je forme des souhaits.
C’est que d’iceux ne sois connu jamais.
Je les respecte, ils sont dieux sur la terre ;
Mais ne les faut de trop près regarder :
Sage mortel doit toujours se garder
De ces gens-là qui portent le tonnerre.
Partant, vilain, retournez vers le roi ;
Dites-lui fort que je le remercie
De son logis ; c’est trop d’honneur pour moi ;
Il ne me faut tant de cérémonie :
Je suis content de mon bouge ; et les dieux
Dans mon taudis m’ont fait un sort tranquille :
Mes biens sont purs, mon sommeil est facile.
J’ai le repos ; les rois n’ont rien de mieux. »

J’eus beau prêcher, et j’eus beau m’en défendre,
Tous ces messieurs, d’un air doux et bénin,
Obligeamment me prirent par la main :
« Allons, mon fils, marchons. » Fallut se rendre,
Fallut partir. Je fus bientôt conduit
En coche clos vers le royal réduit
Que près Saint-Paul ont vu bâtir nos pères
Par Charles Cinq. Ô gens de bien, mes frères.
Que Dieu vous gard’ d’un pareil logement !
J’arrive enfin dans mon appartement.
Certain croquant avec douce manière
Du nouveau gîte exaltait les beautés,
Perfections, aises, commodités.

  1. L’Intimé, dans les Plaideurs, acte II, scène iv, a dit :

    Je m’acquitte assez bien de mon petit emploi. (B.)