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DEUXIÈME DISCOURS.

Sûr de ta liberté, rapporte à son auteur
Ce don que sa bonté te fit pour ton bonheur.
Commande à ta raison d’éviter ces querelles,
Des tyrans de l’esprit disputes immortelles ;
Ferme en tes sentiments et simple dans ton cœur,
Aime la vérité, mais pardonne à l’erreur ;
Fuis les emportements d’un zèle atrabilaire ;
Ce mortel qui s’égare est un homme, est ton frère :
Sois sage pour toi seul, compatissant pour lui ;
Fais ton bonheur enfin par le bonheur d’autrui. »
    Ainsi parlait la voix de ce sage suprême.
Ses discours m’élevaient au-dessus de moi-même :
J’allais lui demander, indiscret dans mes vœux,
Des secrets réservés pour les peuples des cieux ;
Ce que c’est que l’esprit, l’espace, la matière,.
L’éternité, le temps, le ressort, la lumière :
Étranges questions, qui confondent souvent
Le profond S’Gravesande[1] et le subtil Mairan[2],
Et qu’expliquait en vain dans ses doctes chimères
L’auteur des tourbillons[3] que l’on ne croit plus guères.
Mais déjà, s’échappant à mon œil enchanté,
Il volait au séjour où luit la vérité.
Il n’était pas vers moi descendu pour m’apprendre
Les secrets du Très-Haut que je ne puis comprendre.
Mes yeux d’un plus grand jour auraient été blessés :
Il m’a dit : « Sois heureux ! » il m’en a dit assez.

  1. M. S’Gravesande, professeur à Leyde, le premier qui ait enseigné en Hollande les découvertes de Newton. (Note de Voltaire, 1748.)
  2. M. Dortous de Mairan, secrétaire de l’Académie des sciences de Paris, Id. 1748.)
  3. Descartes.