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TROISIEME DISCOURS.

Ce jargon dans un conte est encor supportable ;
Mais le vrai veut un air, un ton plus respectable.
Si tu veux, faux dévot, séduire un sot lecteur,
Au miel d’un froid sermon mêle un peu moins d’aigreur :
Que ton jaloux orgueil parle un plus doux langage ;
Singe de la vertu, masque mieux ton visage.
La gloire d’un rival s’obstine à l’outrager ;
C’est en le surpassant que tu dois t’en venger ;
Érige un monument plus haut que ton trophée ;
Mais pour siffler Rameau, l’on doit être un Orphée.
Qu’un petit monstre noir, peint de rouge et de blanc[1].
Se garde de railler ou Vénus ou Rohan ;
On ne s’embellit point en blâmant sa rivale.
    Qu’a servi contre Bayle une infâme cabale ?
Par le fougueux Jurieu[2] Bayle persécuté
Sera des bons esprits à jamais respecté ;
Et le nom de Jurieu, son rival fanatique,
N’est aujourd’hui connu que par l’horreur publique.
    Souvent dans ses chagrins un misérable auteur
Descend au rôle affreux de calomniateur :
Au lever de Séjan, chez Nestor, chez Narcisse,
Il distille à longs traits son absurde malice.
Pour lui tout est scandale, et tout impiété :
Assurer que ce globe, en sa course emporté.
S’élève à l’équateur, en tournant sur lui-même.
C’est un raffinement d’erreur et de blasphème.
Malbranche est spinosiste, et Locke en ses écrits
Du poison d’Épicure infecte les esprits ;
Pope est un scélérat, de qui la plume impie
Ose vanter de Dieu la clémence infinie,
Qui prétend follement (ô le mauvais chrétien !)

  1. On prétendit dans le temps que le petit monstre était Mme de Ruffec, veuve en premières noces de M. de Maisons ; voyez la lettre à Pont-de-Veyle, du 10 mai 1738. (B.)
  2. Jurieu était un ministre protestant qui s’acharna contre Bayle et contre le bon sens : il écrivit en fou, et il fit le prophète ; il prédit que le royaume de France éprouverait des révolutions qui ne sont jamais arrivées. Quant à Bayle, on sait que c’est un des plus grands hommes que la France ait produits. Le parlement de Toulouse lui a fait un honneur unique en faisant valoir son testament, qui devait être annulé comme celui d’un réfugié, selon la rigueur de la loi, et qu’il déclara valide, comme le testament d’un homme qui avait éclairé le monde et honoré sa patrie. L’arrêt fut rendu sur le rapport de M. de Senaux, conseiller. (Note de Voltaire, 1738.)