Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au fier Anglais la France est asservie :
Ah ! qu’il soit roi, mais qu’il me porte envie ;
J’ai votre cœur, je suis plus roi que lui. »
J’aUn tel discours n’est pas trop héroïque ;
Mais un héros, quand il tient dans un lit
Maîtresse honnête, et que l’amour le pique,
Peut s’oublier, et ne sait ce qu’il dit.
PeComme il menait cette joyeuse vie,
Tel qu’un abbé dans sa grasse abbaye,
Le prince anglais[1], toujours plein de furie,
Toujours aux champs, toujours armé, botté,
Le pot en tête, et la dague au côté,
Lance en arrêt, la visière haussée,
Foulait aux pieds la France terrassée.
Il marche, il vole, il renverse en son cours
Les murs épais, les menaçantes tours,
Répand le sang, prend l’argent, taxe, pille,
Livre aux soldats et la mère et la fille,
Fait violer des couvents de nonnains,
Boit le muscat des pères bernardins,
Frappe en écus l’or qui couvre les saints,
Et, sans respect pour Jésus ni Marie,
De mainte église il fait mainte écurie :
Ainsi qu’on voit dans une bergerie
Des loups sanglants de carnage altérés,
Et sous leurs dents les troupeaux déchirés,
Tandis qu’au loin, couché dans la prairie,
Colin s’endort sur le sein d’Égérie,
Et que son chien près d’eux est occupé
À se saisir des restes du soupé.
Or, du plus haut du brillant apogée,
Séjour des saints, et fort loin de nos yeux,
Le bon Denis[2], prêcheur de nos aïeux,

    faict à son de trompe et cry public ; et, après tout l’ordre judiciaire à ce requis et observé, il est, par arrest, declaré indigne de succeder à la couronne. » Pasquier, Recherches de la France, liv. VI, chap, iv. (R.)

  1. Ce prince anglais est le duc de Bedford, frère puîné de Henri V, roi d’Angleterre, couronné roi de France à Paris. (Note de Voltaire, 1762.
  2. Ce bon Denis n’est point Denis le prétendu aréopagite, mais un évêque de Paris. L’abbé Hilduin fut le premier qui écrivit que cet évêque, ayant été décapité, porta sa tête entre ses bras, de Paris jusqu’à l’abbaye qui porte son nom. On érigea ensuite des croix dans tous les endroits où ce saint s’était arrêté en chemin. Le cardinal de Polignac contant cette histoire à Mme la marquise du ***, et ajoutant