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DEUXIÈME PARTIE.

Les vents contagieux en ont troublé les eaux ;
En vain sur sa surface une fange étrangère
Apporte en bouillonnant un limon qui l’altère ;
L’homme le plus injuste et le moins policé
S’y contemple aisément quand l’orage est passé.
Tous ont reçu du ciel avec l’intelligence
Ce frein de la justice et de la conscience.
De la raison naissante elle est le premier fruit ;
Dès qu’on la peut entendre, aussitôt elle instruit :
Contre-poids toujours prompt à rendre l’équilibre
Au cœur plein de désirs, asservi, mais né libre ;
Arme que la nature a mise en notre main,
Qui combat l’intérêt par l’amour du prochain.
De Socrate, en un mot, c’est là l’heureux génie ;
C’est là ce dieu secret qui dirigeait sa vie,
Ce dieu qui jusqu’au bout présidait à son sort
Quand il but sans pâlir la coupe de la mort.
Quoi ! cet esprit divin n’est-il que pour Socrate ?
Tout mortel a le sien, qui jamais ne le flatte.
Néron, cinq ans entiers, fut soumis à ses lois ;
Cinq ans, des corrupteurs il repoussa la voix.
Marc-Aurèle, appuyé sur la philosophie,
Porta ce joug heureux tout le temps de sa vie.
Julien, s’égarant dans sa religion,
Infidèle à la foi[1], fidèle à la raison,
Scandale de l’Église, et des rois le modèle,
Ne s’écarta jamais de la loi naturelle.
   On insiste, on me dit : « L’enfant dans son berceau
N’est point illuminé par ce divin flambeau ;
C’est l’éducation qui forme ses pensées ;
Par l’exemple d’autrui ses mœurs lui sont tracées ;
Il n’a rien dans l’esprit, il n’a rien dans le cœur ;
De ce qui l’environne il n’est qu’imitateur ;
Il répète les noms de devoir, de justice ;
Il agit en machine ; et c’est par sa nourrice
Qu’il est juif ou païen, fidèle ou musulman,
Vêtu d’un justaucorps, ou bien d’un doliman. »
   Oui, de l’exemple en nous je sais quel est l’empire.
Il est des sentiments que l’habitude inspire.

  1. Ces vers sont imités de ceux de Prudentius, que Voltaire cite dans le Dictionnaire philosophique, au mot Apostat.