Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/460

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Le langage, la mode et les opinions,
Tous les dehors de l’âme, et ses préventions,
Dans nos faibles esprits sont gravés par nos pères,
Du cachet des mortels impressions légères.
Mais les premiers ressorts sont faits d’une autre main :
Leur pouvoir est constant, leur principe est divin.
Il faut que l’enfant croisse, afin qu’il les exerce ;
Il ne les connaît pas sous la main qui le berce.
Le moineau, dans l’instant qu’il a reçu le jour,
Sans plumes dans son nid, peut-il sentir l’amour ?
Le renard en naissant va-t-il chercher sa proie ?
Les insectes changeants qui nous filent la soie,
Les essaims bourdonnants de ces filles du ciel
Qui pétrissent la cire et composent le miel,
Sitôt qu’ils sont éclos forment-ils leur ouvrage ?
Tout mûrit par le temps, et s’accroît par l’usage.
Chaque être a son objet, et dans l’instant marqué
Il marche vers le but par le ciel indiqué.
De ce but, il est vrai, s’écartent nos caprices ;
Le juste quelquefois commet des injustices ;
On fuit le bien qu’on aime, on hait le mal qu’on fait :
De soi-même en tout temps quel cœur est satisfait ?
   L’homme, on nous l’a tant dit, est une énigme obscure :
Mais en quoi l’est-il plus que toute la nature ?
Avez-vous pénétré, philosophes nouveaux,
Cet instinct sûr et prompt qui sert les animaux ?
Dans son germe impalpable avez-vous pu connaître
L’herbe qu’on foule aux pieds, et qui meurt pour renaître ?
Sur ce vaste univers un grand voile est jeté ;
Mais, dans les profondeurs de cette obscurité,
Si la raison nous luit, qu’avons-nous à nous plaindre ?
Nous n’avons qu’un flambeau, gardons-nous de l’éteindre.
   Quand de l’immensité Dieu peupla les déserts,
Alluma des soleils, et souleva des mers :
« Demeurez, leur dit-il, dans vos bornes prescrites. »