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PRÉFACE[1]

DU POËME SUR LE DÉSASTRE DE LISBONNE.

Si jamais la question du mal physique a mérité l’attention de tous les hommes, c’est dans ces événements funestes qui nous rappellent à la contemplation de notre faible nature, comme les pestes générales qui ont enlevé le quart des hommes dans le monde connu, le tremblement de terre qui engloutit quatre cent mille personnes à la Chine en 1699, celui de Lima et de Collao, et en dernier lieu celui du Portugal et du royaume de Fez. L’axiome Tout est bien paraît un peu étrange à ceux qui sont les témoins de ces désastres. Tout est arrangé, tout est ordonné, sans doute, par la Providence ; mais il n’est que trop sensible que tout, depuis longtemps, n’est pas arrangé pour notre bien-être présent.

Lorsque l’illustre Pope donna son Essai sur l’Homme, et qu’il développa dans ses vers immortels les systèmes de Leibnitz, du lord Shaftesbury[2], et du lord Bolingbroke, une foule de théolo-

  1. Cette préface et la note suivante sont de 1756. (B.)
  2. C’est peut-être la première fois qu’on a dit que le système de Pope était celui du lord Shaftesbury ; c’est pourtant une vérité incontestable. Toute la partie physique est presque mot à mot dans la première partie du chapitre intitulé les Moralistes, section iii, Much is alleg’d in answer to show, etc. « On a beaucoup à répondre à ces plaintes des défauts de la nature : comment est-elle sortie si impuissante et si défectueuse des mains d’un être parfait ? Mais je nie qu’elle soit défectueuse… sa beauté résulte des contrariétés, et la concorde universelle naît d’un combat perpétuel… Il faut que chaque être soit immolé à d’autres, les végétaux aux animaux, les animaux à la terre… ; et les lois du pouvoir central et de la gravitation, qui donnent aux corps célestes leur poids et leur mouvement, ne seront point dérangées pour l’amour d’un chétif et faible animal, qui, tout protégé qu’il est par ces mêmes lois, sera bientôt par elles réduit en poussière. »

    Cela est admirablement dit ; et cela n’empêche pas que l’illustre docteur Clarke, dans son traité de l’existence de Dieu, ne dise que « le genre humain se trouve dans un état où l’ordre naturel des choses de ce monde est manifestement renversé ; » page 10, tome II, deuxième édition, traduction de M. Ricotier. Cela n’empêche pas que l’homme ne puisse dire : « Je dois être aussi cher à mon maître,