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PRÉFACE DU POËME

giens de toutes les communions attaqua ce système. On se révoltait contre cet axiome nouveau que tout est bien, que l’homme jouit de la seule mesure du bonheur dont son être soit susceptible, etc. Il y a toujours un sens dans lequel on peut condamner un écrit et un sens dans lequel on peut l’approuver. Il serait bien plus raisonnable de ne faire attention qu’aux beautés utiles d’un

    moi être pensant et sentant, que les planètes, qui probablement ne sentent point » ; cela n’empêche pas que les choses de ce monde ne puissent être autrement, puisqu’on nous apprend que l’ordre a été perverti, et qu’il sera rétabli ; cela n’empêche pas que le mal physique et le mal moral ne soient une chose incompréhensible à l’esprit humain ; cela n’empêche pas qu’on ne puisse révoquer en doute le Tout est bien, en respectant Shaftesbury et Pope, dont le système a d’abord été attaqué comme suspect d’athéisme, et est aujourd’hui canonisé.

    La partie morale de l’Essai sur l’Homme de Pope est aussi tout entière dans Shaftesbury, à l’article de la recherche sur la vertu, au second volume des Caracteristics. C’est là que l’auteur dit que l’intérêt particulier bien entendu fait l’intérêt général. « Aimer le bien public et le nôtre est non seulement possible, mais inséparable : To be well affected towards the public interest and ones own, is not only consistent, but inseparable. » C’est là ce qu’il prouve dans tout ce livre, et c’est la base de toute la partie morale de l’Essai de Pope sur l’Homme. C’est par là qu’il finit.

    That reason, passion, answer one great aim,
    That true self love and social be the same.

    « La raison et les passions répondent au grand but de Dieu. Le véritable amour-propre et l’amour social sont le même. »

    Une si belle morale, bien mieux développée encore dans Pope que dans Shaftesbury, a toujours charmé l’auteur des poèmes sur Lisbonne et sur la Loi naturelle : voilà pourquoi il a dit (pages 441-442):

    Mais Pope approfondit ce qu’ils ont effleuré,
    ....................
    Et l’homme avec lui seul apprend à se connaître.

    Le lord Shaftesbury prouve encore que la perfection de la vertu est due nécessairement à la croyance d’un Dieu : « And thus perfection of virtue must be owing to the belief of a God. »

    C’est apparemment sur ces paroles que quelques personnes ont traité Shaftesbury d’athée. S’ils avaient bien lu son livre, ils n’auraient pas fait cet infâme reproche à la mémoire d’un pair d’Angleterre, d’un philosophe élevé par le sage Locke.

    C’est ainsi que le P. Hardouin traita d’athées Pascal, Malebranche, et Arnauld ; c’est ainsi que le docteur Lange traita d’athée le respectable Wolf pour avoir loué la morale des Chinois ; et Wolf s’étant appuyé du témoignage des jésuites missionnaires à la Chine, le docteur répondit : « Ne sait-on pas que les jésuites sont des athées ? » Ceux qui gémirent sur l’aventure des diables de Loudun, si humiliante pour la raison humaine ; ceux qui trouvèrent mauvais qu’un récollet, en conduisant Urbain Grandier au supplice, le frappât au visage avec un crucifix de fer, furent appelés athées par les récollets. Les convulsionnaires ont imprimé que ceux qui se moquaient des convulsions étaient des athées ; et les molinistes ont cent fois baptisé de ce nom les jansénistes.

    Lorsqu’un homme connu écrivit le premier en France, il y a plus de trente ans, sur l’inoculation de la petite vérole, un auteur inconnu écrivit : « Il n’y a qu’un