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SUR LE DÉSASTRE DE LISBONNE

ouvrage, et de n’y point chercher un sens odieux ; mais c’est une des imperfections de notre nature d’interpréter malignement tout ce qui peut être interprété, et de vouloir décrier tout ce qui a eu du succès.

On crut donc voir dans cette proposition : Tout est bien, le renversement du fondement des idées reçues. « Si tout est bien, disait-on, il est donc faux que la nature humaine soit déchue. Si l’ordre général exige que tout soit comme il est, la nature humaine n’a donc pas été corrompue ; elle n’a donc pas eu besoin de rédempteur. Si ce monde, tel qu’il est, est le meilleur des mondes possibles, on ne peut donc pas espérer un avenir plus heureux. Si tous les maux dont nous sommes accablés sont un bien général, toutes les nations policées ont donc eu tort de rechercher l’origine du mal physique et du mal moral. Si un homme mangé par les bêtes féroces fait le bien-être de ces bêtes et contribue à l’ordre du monde, si les malheurs de tous les particuliers ne sont que la suite de cet ordre général et nécessaire, nous ne sommes donc que des roues qui servent à faire jouer la grande machine ; nous ne sommes pas plus précieux aux yeux de Dieu que les animaux qui nous dévorent. »

Voilà les conclusions qu’on tirait du poème de M. Pope ; et ces conclusions mêmes augmentaient encore la célébrité et le succès de l’ouvrage. Mais on devait l’envisager sous un autre aspect : il fallait considérer le respect pour la Divinité, la résignation qu’on doit à ses ordres suprêmes, la saine morale, la tolérance, qui sont l’âme de cet excellent écrit. C’est ce que le public a fait ; et l’ouvrage, ayant été traduit par des hommes

    athée imbu des folies anglaises qui puisse proposer à notre nation de faire un mal certain pour un bien incertain. »

    L’auteur des Nouvelles ecclésiastiques, qui écrit tranquillement depuis si longtemps contre les lois et contre la raison, a employé une feuille à prouver que M. de Montesquieu était athée, et une autre feuille à prouver qu’il était déiste.

    Saint-Sorlin Desmarets, connu en son temps par le poème de Clovis et par son fanatisme, voyant passer un jour dans la galerie du Louvre La Mothe-Le-Vayer, conseiller d’État et précepteur de Monsieur : « Voilà, dit-il, un homme qui n’a point de religion. » La Motte-Le-Vayer se retourna vers lui, et daigna lui dire : « Mon ami, j’ai tant de religion que je ne suis pas de ta religion. »

    En général, cette ridicule et abominable démence d’accuser d’athéisme à tort et à travers tous ceux qui ne pensent pas comme nous est ce qui a le plus contribué à répandre d’un bout de l’Europe à l’autre ce profond mépris que tout le public a aujourd’hui pour les libelles de controverse. (Note de Voltaire.)

    — L’homme connu dont il est parlé dans un des alinéa de cette note est Voltaire lui-même, qui, en 1727, dans la XIe de ses Lettres philosophiques, avait parlé de l’inoculation. (B.)