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LA MULE DU PAPE.

Où Rome avait fourmilière d’élus ;
Le pape était un pauvre personnage,
Pasteur de gens, évêque, et rien de plus.
L’Esprit malin s’en va droit au saint-père,
Dans son taudis l’aborde, et lui dit : « Frère,
Je te ferai, si tu veux, grand seigneur. »
À ce seul mot l’ultramontain pontife
Tombe à ses pieds et lui baise la griffe ;
Le farfadet, d’un air de sénateur,
Lui met au chef une triple couronne :
« Prenez, dit-il, ce que Satan vous donne ;
Servez-le bien, vous aurez sa faveur. »
Ô papegots ! voilà la belle source
De tous vos biens, comme savez. Et pour ce
Que le saint-père avait en ce tracas
Baisé l’ergot de messer Satanas,
Ce fut depuis chose à Rome ordinaire
Que l’on baisât la mule du saint-père.
Ainsi l’ont dit les malins huguenots
Qui du papisme ont blasonné l’histoire :
Mais ces gens-là sentent bien les fagots ;
Et grâce au Ciel, je suis loin de les croire.
Que s’il advient que ces petits vers-ci
Tombent ès mains de quelque galant homme,
C’est bien raison qu’il ait quelque souci
De les cacher, s’il fait voyage à Rome[1].

  1. Dans une note sur la première scène de Tancrède, les éditeurs de Kehl donnent une autre origine au baisement de la mule du pape ; voyez tome IV du Théâtre, page 502.