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LA MULE DU PAPE[1]


(1733)


Frères très chers, on lit dans saint Matthieu
Qu’un jour le diable emporta le bon Dieu[2]
Sur la montagne, et puis lui dit : « Beau sire,
Vois-tu ces mers, vois-tu ce vaste empire,
L’État romain de l’un à l’autre bout ? »
L’autre reprit : « Je ne vois rien du tout,
Votre montagne en vain serait plus haute. »
Le diable dit : « Mon ami, c’est ta faute.
Mais avec moi veux-tu faire un marché ?
— Oui-da, dit Dieu, pourvu que sans péché
Honnêtement nous arrangions la chose.
— Or voici donc ce que je te propose,
Reprit Satan. Tout le monde est à moi ;
Depuis Adam j’en ai la jouissance ;
Je me démets, et tout sera pour toi,
Si tu me veux faire la révérence. »
Notre Seigneur, ayant un peu rêvé,
Dit au démon que, quoique en apparence
Avantageux le marché fût trouvé,
Il ne pouvait le faire en conscience ;
Car il avait appris dans son enfance
Qu’étant si riche on fait mal son salut.
Un temps après, notre ami Belzébut
Alla dans Rome : or c’était l’heureux âge

  1. Cette pièce est de 1733 si une lettre à Mme de La Neuville est bien classée.
  2. Le jésuite Bouhours se servit de cette expression : Jésus-Christ fut emporté par le diable sur la montagne ; c’est ce qui donna lieu à ce noël qui finit ainsi :

    Car sans lui saurait-on, don, don,
    Que le diable emporta, la, la,
    Jésus notre bon maître ?

    (Note de Voltaire.)