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Traité ſur la Tolérance. Chap. XXII.

Il eſt vrai que ces horreurs abſurdes ne ſouillent pas tous les jours la face de la terre ; mais elles ont été fréquentes, & on en compoſerait aiſément un volume beaucoup plus gros que les Évangiles qui les réprouvent. Non-ſeulement il eſt bien cruel de perſécuter, dans cette courte vie, ceux qui ne penſent pas comme nous ; mais je ne ſais s’il n’eſt pas bien hardi de prononcer leur damnation éternelle. Il me ſemble qu’il n’appartient guère à des atomes d’un moment, tels que nous ſommes, de prévenir ainſi les arrêts du Créateur. Je ſuis bien loin de combattre cette ſentence, hors de l’Égliſe point de ſalut : je la reſpecte, ainſi que tout ce qu’elle enſeigne ; mais en vérité, connaiſſons-nous toutes les voyes de Dieu, & toute l’étendue de ſes miſéricordes ? n’eſt-il pas permis d’eſpérer en lui autant que de le craindre ? N’eſt-ce pas aſſez d’être fidèles à l’Égliſe ? faudra-t-il que chaque Particulier uſurpe les droits de la Divinité, & décide avant elle du ſort éternel de tous les hommes ?

Quand nous portons le deuil d’un Roi de Suède, ou de Dannemark, ou d’Angleterre, ou de Pruſſe, diſons-nous que nous portons le deuil d’un Réprouvé qui brûle éternellement en Enfer ? Il y a dans l’Europe quarante millions d’Habitants qui ne ſont pas de l’Égliſe de Rome : dirons-nous à chacun d’eux, « Monſieur, attendu que vous êtes infailliblement damné, je ne