Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/392

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

384 L'A, B, C.

fatalité presque tous les princes coururent-ils ainsi pendant tant de siècles au-devant du joug qu'on leur présentait?

B.

La raison en est fort naturelle. Les rois et les barons ne sa- vaient ni lire ni écrire, et la cour romaine le savait : cela seul lui donna cette prodigieuse supériorité dont elle retient encore

de beaux restes.

C.

Et comment des princes et des barons qui étaient libres ont- ils pu se soumettre si lâchement à quelques jongleurs?

A.

Je vois clairement ce que c'est. Les brutaux savaient se battre, et les jongleurs savaient gouverner; mais lorsque enfin les barons ont appris à lire et à écrire, lorsque la lèpre de l'ignorance a diminué chez les magistrats et chez les principaux citoyens, on a regardé en face l'idole devant laquelle on avait léché la poussière; au lieu d'hommage, la moitié de l'Europe a rendu outrage pour outrage au serviteur des serviteurs; l'autre moitié, qui lui baise encore les pieds, lui lie les mains; du moins c'est ainsi que je l'ai lu dans une histoire qui, quoique contemporaine, est vraie et philosophique K Je suis sûr que si demain le roi de Aaples et de Sicile veut renoncer à cette unique prérogative qu'il possède d'être homme-lige du pape, d'être le serviteur du serviteur des serviteurs de Dieu, et de lui donner tous les ans un petit cheval avec deux mille écus d'or pendus au cou, toute l'Europe lui applaudirai

B.

Il en est en droit, car ce n'est pas le pape qui lui a donné le royaume de Naples. Si des meurtriers normands ^ pour colorer leurs usurpations, et pour être indépendants des empereurs auxquels ils avaient fait hommage, se firent oblats de la sainte Église, le roi des Deux-Siciles, qui descend de Hugues Capet en ligne droite, et non de ces Normands, n'est nullement tenu d'être cblat. Il n'a qu'à vouloir.

Le roi de France n'a qu'à dire un mot, et le pape n'aura pas

1. Siècle de Louis XIV, ch. ii; voyez tome XIV, page 165.

2. Je ne sais si le marquis de Tanucci, premier ministre de Ferdinand IV, lut ce quatorzième entretien: ce qui est certain, c'est qu'il abolit, et pour toujours, en 1709, l'usage dans lequel étaient les rois de ÎNaples de présenter annuellemenl une haquenée blanche au pape. (Cl.)

3. Voyez tome XI, pages 355 et suiv.

�� �