Page:Voltaire Dialogues philosophiques.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
63
dialogues philosophiques

pire, de même que toute l’attention du maître-d’hôtel ne peut empêcher que les rats ne se glissent dans les caves et dans les greniers.

L’esprit de tolérance, qui faisait le caractère de toutes les nations asiatiques, laissa les bonzes séduire le peuple ; mais, en s’emparant de la canaille, on les empêcha de la gouverner. On les a traités comme on traite les charlatans : on les laisse débiter leur orviétan dans les places publiques ; mais s’ils ameutent le peuple, ils sont pendus. Les bonzes ont été tolérés et réprimés.

L’empereur Kang-hi avait accueilli avec une bonté singulière les bonzes jésuites ; ceux-ci, à la faveur de quelques sphères armillaires, des baromètres, des thermomètres, des lunettes, qu’ils avaient apportés d’Europe, obtinrent de Kang-hi la tolérance publique de la religion chrétienne.

On doit observer que cet empereur fut obligé de consulter les tribunaux, de les solliciter lui-même, et de dresser de sa main la requête des bonzes jésuites pour leur obtenir la permission d’exercer leur religion : ce qui prouve évidemment que l’empereur n’est point despotique, comme tant d’auteurs mal instruits l’ont prétendu, et que les lois sont plus fortes que lui.

Les querelles élevées entre les missionnaires rendirent bientôt la nouvelle secte odieuse. Les Chinois, qui sont gens sensés, furent étonnés et indignés que des bonzes d’Europe osassent établir dans leur empire des opinions dont eux-mêmes n’étaient pas