Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/200

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forcer par la réflexion, comme beaucoup d’autres sentiments, surtout en présence du monde. Je travaille bien un peu chaque jour, mais cela ne dure pas longtemps, comme c’est le cas pour les éclairs d’inspiration ; souvent je préférerais ne rien faire, si l’horreur d’une journée vide n’était pas là pour m’impressionner.

Étranges créatures que nous sommes ! Nous ne menons pas une existence naturelle ; pour retourner jusqu’à mi-chemin seulement de la nature, elle devrait être beaucoup plus artificielle encore, en quelque sorte comme mes œuvres d’art mêmes, qui ne se retrouvent pas non plus dans la nature et l’expérience, mais cependant reçoivent une vie nouvelle et supérieure justement par l’application la plus complète de l’art.

Figurez-vous que, depuis que je suis ici, je n’ai pas encore pu me décider à me remettre au 2e acte, de sorte que celui-ci est déjà derrière moi comme un rêve méconnaissable. Je n’en éprouve pas le besoin, et tout se tait autour de moi ; l’unique élément dans lequel je puis et je dois vivre me manque absolument. Pour que je puisse m’épanouir, il faudrait que mon art fût toujours près de moi, avec ses influences et ses réactions, jusqu’à l’ivresse, jusqu’à l’oubli complet de moi-même. Cependant c’est uniquement la vie que j’ai devant les yeux, la vie dans laquelle je joue un rôle si anti-naturel et triste. Les choses devraient être autres ; et si je veux

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