Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/97

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de soucis, d’exaspérations, d’angoisses et de chagrins je dois me charger, pour me procurer de temps à autre un peu de jouissance, j’ai presque honte de m’imposer encore de la sorte à la vie, car le monde, tout bien considéré, ne veut pas de moi. Cette lutte incessante en vue d’acquérir le nécessaire, ces fréquentes et longues périodes, pendant lesquelles je ne puis penser à rien d’autre qu’aux moyens de me procurer, pour peu de temps, de la tranquillité, et de pourvoir à mes besoins, en abdiquant ma véritable nature et en me montrant aux yeux de ceux par qui je veux subsister tout autre que je suis, — à dire vrai, c’est révoltant ! Et, par dessus le marché, il faut encore être fait comme moi pour voir cela si clairement ! Tous ces soucis s’accordent si bien et si naturellement avec l’existence de celui qui ne vit que pour lui-même et qui, dans l’effort pénible afin de se procurer le nécessaire, trouve précisément le condiment pour la jouissance imaginaire du résultat obtenu ! C’est pourquoi personne au fond ne comprend pour quelle raison cela révolte absolument quelqu’un comme moi, car c’est la destinée et la nécessité pour tous. Qui donc comprend réellement et avec sympathie qu’un être puisse considérer la vie non pas comme voie vers un but personnel, mais bien comme moyen indispensable d’atteindre un but supérieur ? Il faut

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