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Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/67

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père, on se risque, — parce qu’il y a justement un but, un but qui me paraît si nécessaire. Et je ne suis plus ici-bas, ma vie n’a plus de sens que pour regarder ce but et le regarder par-dessus tout ce qui se trouve entre moi et lui : ce n’est qu’en vue de ce but que je peux vivre encore ; comment pourrais-je vivre si j’en détournais les yeux, pour les plonger dans l’abîme qui m’en sépare !

Oui, certes, d’autres devaient faire cela pour moi et me maintenir debout dans l’air respirable ; mais est-ce qu’on peut à bon droit exiger cela de quelqu’un ? Chacun n’a-t-il pas un but en vue ? Seulement, ce but n’est pas précisément celui de l’excentrique ! Ainsi arrive-t-il, mon enfant, que le maître stupide doit de nouveau regarder profondément et longuement, uniquement, dans l’abîme, hélas ! Qu’éprouve-t-il alors ? Aucun cercle de l’enfer de Dante n’offre d’abîmes plus effroyables !… Assez là-dessus… Et le but ? ?… demeure cependant toujours l’unique chose qui m’anime !… Mais comment l’atteindre ?…

Oui, mon amie, c’est ainsi ! Tout, encore une fois, n’est que nuit autour de moi. Si je n’avais plus de but, il en irait autrement. Maintenant, au prix de peines et d’angoisses inexprimables, il me faut seulement m’arracher du gouffre, où je devais finir par me précipiter de nouveau avec un aveuglement presque in-