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Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/86

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de ce que je vous écris, mais plutôt l’état moral dans lequel je vous écris. Le sujet est donc indifférent : à le bien prendre, c’est mon état d’âme qui peut vous intéresser, et là-dessus même il n’y a pas grand’chose à dire. Comment pourrais-je me sentir dans une bonne disposition ? Mais cette disposition d’esprit est-elle digne de votre sympathie ? De cela, non plus, je ne puis me rendre exactement compte : seulement, une voix me dit, au profond de moi-même, que les choses devraient aller autrement.

Dieu sait pourquoi je suis encore de ce monde ! Autant que ma volonté est en jeu, je n’ai aucune raison de me réjouir de ma persévérance. Les moments de clarté sont trop rares. Peut-être, un jour, même ceux-ci disparaîtront-ils tout à fait : je les attends toujours, prends patience, et reste vivant dans la nuit !

Vos souvenirs m’ont vivement saisi. C’est incroyable à quel point on peut supporter la dévastation de sa vie. Ce qui reste doit être misérablement petit, à moins que ne ce puisse être sublimement grand. Dans mes bons moments, l’idée du grand me flatte. Qu’y a-t-il de plus grand que de renoncer absolument au bonheur pour toute l’étendue de la vie et de se restreindre à quelques moments ? Il n’y a de sûr que ce qui est vulgaire, étendu, vivace, envahissant : ce qui est noble n’est qu’une force de résistance ; rien de positif, tout négatif.